L’amorti, facteur déclenchant de l’essuie-glace ?

Retour sur un cas en plein confinement

Marc*, la quarantaine, court avec une foulée avant-pied dite naturelle, et des chaussures de type barefoot (sans drop, sans amorti, respectant l’anatomie et la biomécanique du pied) depuis plus de dix ans, à raison de trois à quatre sorties par semaine, d’une durée moyenne de 40 minutes par sortie, alternant routes et chemins. Ne pouvant courir en extérieur durant cette période de confinement en raison des mesures sanitaires prises par le pays dans lequel il vit, il se met à utiliser de façon régulière un tapis de course dont il ne se servait que très rarement, trois à quatre fois dans l’année lorsqu’il pleuvait, et encore.

Le grain de sable

Cinq séances de course sur le tapis seulement ont suffi pour qu’une douleur apparaisse à la face externe de son genou droit, lui rappelant un syndrome de l’essuie-glace dont il avait souffert des années auparavant alors qu’il essayait des chaussures un peu plus épaisse qu’un magasin de sport lui avait proposé de tester. A cette époque, la douleur avait progressivement disparu en reprenant ses autres chaussures nettement plus fines, de type barefoot. Il n’a jamais su avec certitude si les chaussures plus épaisses avaient été à l’origine de cette symptomatologie, d’autant qu’il avait chuté peu de temps auparavant dans un pierrier et que son genou droit était brutalement parti en hyperflexion.

Aujourd’hui la douleur est telle qu’elle l’empêche de courir plus de cinq minutes sur le tapis. Pourtant il reproduit stricto-sensu les séances en extérieur, même durée, même allure, même fréquence. Il ne comprend pas l’origine de cette douleur, et surtout pourquoi elle est apparue aussi brutalement ?! Il diminue alors l’allure, modifie l’inclinaison du tapis, change de chaussures, court pieds nus, vérifie sa cadence. Il joue également sur sa posture, tend plus ou moins ses jambes,… Si certains paramètres semblent le soulager par instant, ils ne lui permettent pas pour autant de courir plus de quelques minutes.

Maudissant le tapis, sans parvenir à comprendre ce qui lui est délétère, il analyse les dynamiques de course de ses cinq premières séances (cadence, oscillation verticale, temps de contact au sol, longueur de la foulée,…) et les comparent à celles des séances en extérieur. Toutes les données sont similaires, le temps de contact au sol, la cadence, la longueur de ses foulées,… Seule l’oscillation verticale a très légèrement diminuée, pour ne pas dire s’est améliorée.

Le diable est dans les détails

En parcourant le Net pour tenter de trouver une réponse à cette problématique, il découvre l’existence de plans d’entrainement composés d’étirements, d’exercices de renforcement et de gainage. Un travail long et fastidieux qui lui parait totalement inapproprié dans son cas en raison de la soudaineté de l’apparition du phénomène. Même s’il ne doute pas qu’une action de fond sera nécessaire par la suite, d’autant que la symptomatologie ne concerne qu’un seul genou.

Face à cette incompréhension et l’absence de solutions, il décide de nous contacter. Après lui avoir demandé de se filmer de dos et de profil (droit et gauche) en Slowmotion à 120 images par seconde, il est apparu sur la vidéo de profil que le plateau du tapis de course s’abaissait à chaque foulée pour revenir à sa position initiale entre deux foulées. Rappelons que les tapis de course possèdent un système amortisseur placé sous la ‘’planche’’ sur laquelle la bande déroule et qui a pour objectif de diminuer l’impact des foulées. Via les vidéos de profil nous avons constaté que les barres métalliques qui maintiennent longitudinalement le plateau flambent légèrement à chaque appui en raison de leur relative souplesse, pour revenir à leur position initiale entre deux foulées. Elles participent ainsi volontairement ou non à l’amortissement. Après mesure, le débattement relevé au milieu de la barre est de 6mm.

Retour élastique ou simple amortissement ?

Il nous fallait vérifier si la souplesse de l’armature ne s’accompagnait pas d’un retour élastique. Car si vous avez déjà marché ou couru sur un trampoline bien tendu, vous avez pu vous rendre compte de la difficulté à vous déplacer en raison de son élasticité mais également de la nécessité d’être tonique pour ne pas prendre de plein fouet le retour élastique. Cependant, après analyse, nous constatons que le retour élastique du tapis est très faible, voire inexistant. Le tapis absorbe les contraintes mais ne les renvoie pas, à l’image d’un ressort.


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Le facteur déclenchant

Le seul élément déterminant ayant changé entre ses sorties en extérieur et sa course sur tapis est l’apparition de cet amorti. Pour vérifier si ce paramètre influence ou non la symptomatologie est de le faire disparaitre tout simplement. Pour cela nous lui avons demandé de placer des cales en bois sous les barres métalliques, en leur milieu, de façon à rigidifier la structure et ainsi faire disparaitre cet amorti. Après trois jours de repos, une fois la symptomatologie estompée, il est remonté pieds nus sur le tapis ainsi calé et s’est mis à courir à son allure moyenne. Sa première sensation fut de retrouver un contact franc sous le pied, presque semblable à celui qu’il perçoit en extérieur. La seconde, de pouvoir courir sans que la douleur, très légère alors, n’augmente ou ne l’oblige à s’arrêter. Par précaution nous avons limité le temps de course des deux premières séances à 15 min à un jour d’intervalle, le troisième jour il est passé à 20 min,… Il a continué ainsi à augmenter progressivement le temps de course au fil des jours jusqu’à atteindre 45 min au bout de dix jours sans qu’aucune douleur n’apparaisse pendant et après la séance. Il a pu ainsi courir sur le tapis durant le confinement selon ses envies, quatre à six fois par semaine, 20 à 45 min, sans que cette douleur ne revienne.

Rappelons que le syndrome de l’essuie-glace est une problématique multifactorielle. D’autant que dans son cas, son corps présente un léger déséquilibre qu’il va falloir corriger. Ce n’est pas dans l’amorti qu’il a trouvé la solution, mais dans la dureté. Depuis le déconfinement, il court de nouveau en extérieur sans aucune douleur. Par ailleurs, nous avons pu constater par la suite que le fait de retirer les cales sous le tapis engendrait de nouveau une sur sollicitation du TFL.

L’invisibilité du facteur déclenchant

Il est intéressant également de souligner que ses dynamiques de course sont semblables que le tapis soit calé ou non. Par conséquent, cet amorti n’apparait nulle part. Ce qui nous amène à insister sur le fait que nous ne pouvons limiter notre réflexion à ce que les outils parviennent aujourd’hui à mesurer. Ce n’est pas une montre coûteuse qui révèlera l’ensemble des paramètres à prendre en compte et qui vous garantira l’absence de blessure. De plus, une analyse de données à distance totalement décontextualisées n’a pas grande valeur. A l’heure du Big Data nous risquons de croire qu’une moyenne statistique tirée d’études scientifiques randomisées ou de méta-analyses vaut pour tout le monde et dans n’importe quel contexte. C’est également retirer toute capacité de réflexion au coureur et au thérapeute, et nous amener à reproduire systématiquement un même protocole ‘’validé scientifiquement’’ sans tenir compte de la singularité de chacun. Nous sommes tous différents et notre organisme ne cesse de se modifier. Nous ne sommes pas une moyenne, nous n’entrons pas dans des cases mais changeons de case à chaque instant. Ne nous laissons pas leurrer par toute cette technologie qui souhaite nous stéréotyper. N’oublions pas que notre corps est le fruit d’une lente évolution, au gré des mutations, sur des millions d’années, contre laquelle une belle tablette, quelques capteurs et un homme en blouse blanche devant un tapis de course ne pourront rivaliser, fût-il associé à une IA.

Ne perdons pas de vue l’étude observationnelle et l’interaction, le cas par cas, sauf si vous souhaitez par confort vous laisser dicter votre conduite au risque de devenir de simples robots déshumanisés.

*Marc est un pseudonyme

Que retenir
  • Les appareils de mesure ne révèlent que ce qu’ils peuvent mesurer, le reste passe totalement inaperçu. Lapalisse n’aurait pas dit mieux mais il est bon de le souligner.
  • Ne pas se laisser leurrer par la technologie.
  • Garder l’esprit critique !
Pour aller plus loin
  • Germain Grangier 3ème de l’UTMB 2023 revient sur sa foulée gagnante « …J’ai fait trop de course à pied d’un coup, et j’ai vu que je n’avais pas du tout l’archétype du coureur à pied. J’ai eu tout un tas de douleurs aux pieds, aux genoux, aux hanches et même en bas du dos parce que j’avais ‘’zéro technique’’ en course à pied… »
  • Plan d’entrainement pour tester et passer à une foulée minimaliste
  • Trekking en chaussures barefoot dans l’Atlas Marocain
    Pourquoi porter des chaussures barefoot lors d’un trekking ? Nous marchons différemment selon que nous soyons chaussés de chaussures épaisses et rigides ou de chaussures fines et souples. Avec ces dernières, nous sommes plus attentifs, plus présents, plus conscients. Nous ne posons pas le pied n’importe où, le pied étant moins protégé. Notre gestuelle est différente, plus vive, plus précise, plus subtile. Tout change, alors que vu de loin nous ne faisons que marcher sur un même sentier.
SE PROCURER LES OUVRAGES

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Un pied fonctionnel assure une jonction efficace avec le sol et optimise la prise d’appui, il s’accompagne d’un meilleur maintien de la « cheville » et participe ainsi à la prévention des entorses. De plus, il augmente la marge de manœuvre en cas de déséquilibre et permet de développer un appui plus dynamique.