Quelle technique de course à pied enseigner à l’école ?

Par Frédéric Brigaud

On parle de façon récurrente de transition lors du passage d’une prise d’appui talon à une prise d’appui avant-pied. Une réflexion qui concerne essentiellement l’adulte et le jeune adulte qui courent talon. Cependant, qu’en est-il de nos enfants ? Ne faudrait-il pas s’interroger sur la technique de course à leur enseigner.

La course est en nous

Il suffit de regarder nos enfants jouer dans une cour de récréation pour se rendre compte que la course fait partie de leur mode de déplacement. Ils courent sans réfléchir à une quelconque technique ou gestuelle à réaliser, passant de la marche à la course en un instant pour attraper leurs copains ou copines lors d’une partie de chat perché, si ce jeu est encore d’actualité. La course fait partie de nous, elle nous vient spontanément dès que cela nous est nécessaire. Il suffit d’accélérer nos prises d’appui et la longueur de nos pas pour courir. Alors pourquoi faudrait-il aller plus loin, c’est-à-dire enseigner une technique de course ? Dans quelle mesure serait-ce utile puisque la course nous vient spontanément ?

Est-il utile d’apprendre ?

Pour nous aider à approfondir cette réflexion, transposons cette question à d’autres activités physiques. Est-il nécessaire d’apprendre à jouer au tennis, au foot,… ? Même si, à la différence de la marche et de la course, ce sont des sports ‘’artificiels’’ inventés par l’homme qui emploient un matériel particulier. Nous remarquons pourtant que, par mimétisme, l’enfant arrive rapidement à frapper dans la balle et, à force d’essais/erreurs, à améliorer dans une certaine mesure son geste pour davantage de précision. Cependant, nous savons que pour un même résultat on peut produire un geste plus ou moins efficace et plus ou moins physiologique, c’est-à-dire plus ou moins impactant pour son organisme. Le corps, en raison du nombre important d’articulations et de muscles qui le compose, nous offre un champ des possibles considérable, c’est-à-dire mille et une postures et gestuelles pour frapper une même balle. Une force et une faiblesse car cette variabilité, si elle nous permet de rattraper des déséquilibres en faisant évoluer notre posture sans nous briser, autorise de fait l’automatisation d’une démarche plus ou moins efficace, plus ou moins physiologique. Rien ne nous garantit donc d’aboutir spontanément à développer une gestuelle optimale et respectueuse du fonctionnement du corps.Notre corps, notre gestuelle, notre posture et nos automatismes sont l’expression de nos expériences passées, de notre vécu, pris dans une boucle récursive évoluant sans cesse au gré de nos gestes répétitifs du quotidien, de nos pratiques sportives, de nos traumatismes… modelant progressivement cet ensemble. Un cercle vicieux ou vertueux selon l’orientation que l’on prend et notre niveau de conscience. Ainsi, il n’y a rien de déterminé en dehors de notre mode de fonctionnement.

Rien ne nous garantit d’aboutir spontanément à développer une gestuelle optimale et adaptée


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Un geste répétitif peut-il être nocif pour l’organisme ?

Le monde du travail porte une attention particulière au geste technique répétitif car il a constaté qu’il peut être source de pathologies. On n’hésite pas alors à analyser et à faire évoluer le poste de travail mais également la gestuelle et la posture de la personne afin de lutter contre les TMS (troubles musculo-squelettiques) puisqu’ils génèrent de nombreux arrêts de travail et représentent un coût financier important. Une telle démarche laisse entendre que pour une même tâche, une même action, nous n’optons pas spontanément pour la gestuelle et la posture la plus adaptée comme nous l’évoquions précédemment. Une analyse et un apprentissage sont donc utiles pour ne pas dire nécessaires si l’on souhaite agir et interagir efficacement avec le milieu qui nous entoure. Nous pouvons donc nous situer très loin de notre point d’équilibre, voire fonctionner à la limite de notre physiologie sans forcément s’en rendre compte et en ressentir les effets dans l’instant. Retenons qu’il nous est possible de construire et d’automatiser de multiple gestuelles pour accomplir une même action et que, parmi ce panel de gestes qui nous est offert, un certain nombre nous est délétère à plus ou moins long terme. Ce n’est pas parce qu’un geste est possible qu’il respecte le fonctionnement du corps. Ainsi le geste soit disant ‘’naturel’’, qui nous vient spontanément, ne nous est pas toujours aussi favorable ; le naturel n’est en rien une référence.

Le corps se construit-il différemment selon nos gestes et notre posture ?

Lorsque l’on évoque la course à pied on a souvent tendance à l’associer uniquement au développement du système cardio-vasculaire, pourtant cette pratique façonne/modèle d’une manière particulière la musculature en raison de la répétitivité du geste. Le coureur développe une certaine dynamique corporelle qui a pour conséquence d’orienter sa façon de se déplacer, de marcher, de s’orchestrer à l’ensemble des situations auxquelles il est soumis au quotidien mais également aux autres sports qu’il peut pratiquer occasionnellement. Nous pourrions aller jusqu’à dire qu’il produit des réponses stéréotypées. Cela sera d’autant plus marqué s’il court principalement sur route car le terrain est aseptisé : plat, uniforme, rectiligne… Le marathonien, comme nous l’avons évoqué dans de précédents articles, cherche à reproduire le même geste du début à la fin de la course. Il développe une gestuelle très limitée et risque par conséquence d’être rapidement en difficulté en milieu naturel sur un sentier étroit et très sinueux présentant des creux, des bosses et des dévers. Ce terrain artificiel et aseptisé que représente la route réduit ses capacités. Par ailleurs, le corps d’un coureur marathonien n’est pas semblable à celui du rugbyman ou du danseur, les contraintes auxquelles ils sont soumis sont différentes, tout comme les gestes qu’ils effectuent. De la même façon, le coureur Trail développe des capacités de déplacement et un corps différents du coureur sur route.

La musculature diffère-t-elle selon que l’on attaque talon ou avant-pied ?

Une des différences majeures entre les deux techniques se situe au niveau du groupe musculaire employé pour gérer la force de réaction au sol lors de la phase d’amortissement. Le mollet, comme vous le savez, est davantage sollicité lors d’une prise d’appui avant-pied et par conséquence plus développé chez ceux qui courent ainsi. Un muscle qui agit tel un ressort. Selon la technique de prise d’appui que l’on emploie, le corps se développe donc différemment. Nous ne cesserons de le répéter, deux techniques de prise d’appui, deux corps différents ! Et par conséquence, deux biomécaniques différentes c’est-à-dire des capacités, des aptitudes, des comportements différents dans l’ensemble des activités physiques que l’on entreprend jusque dans les gestes du quotidien.

Par ailleurs, plus on est précis et subtile dans l’apprentissage technique, plus les différences sont importantes. Cette technique de prise d’appui permet de courir avec une cadence élevée quelque soit la vitesse à laquelle on court et permet par ailleurs de restituer efficacement l’énergie emmagasinée lors de l’amortissement (énergie potentielle élastique). Pour comprendre ce phénomène, bondissez sur place avant-pied puis talon. Dans le premier cas vous utilisez l’énergie emmagasinée dans le mollet durant la phase d’amortissement tel un ressort pour bondir à nouveau. Dans le second cas vous devez relancer le mouvement à chaque bond. Le premier est économique et augmente la réactivité des appuis, l’autre non. De plus, la cadence (nombre de pas par minute (ppm)) nous permet ou non d’utiliser la résonnance élastique, ce moment à partir duquel il suffit de très peu d’énergie pour entretenir le mouvement au sein d’un système. Pour vous en rendre compte bondissez sur place en faisant évoluer la cadence, vous percevrez alors qu’aux alentours de 180ppm l’effort pour entretenir le mouvement diminue considérablement. Pour développer de la réactivité dans ses appuis il ne suffit donc pas de courir avant-pied encore faut-il travailler la cadence. Là encore il faut agir avec conscience, retenez que le hasard ne développe pas un mode de fonctionnement forcément optimal.

Ainsi, au-delà de l’aspect cardio-vasculaire, la course à pied qui est la base de toutes les disciplines sportives peut devenir le moyen de construire une certaine dynamique corporelle pour peu que l’on oriente son apprentissage. A l’école on ne parle pas de technique de course, de posture, de gestuelle… Le chronomètre et la fréquence cardiaque sont souvent les seules références, que ce soient en vitesse ou en endurance. On court tout simplement, un peu comme s’il n’était pas nécessaire d’apprendre, comme si tout le monde savait courir, comme si c’était une évidence, comme si courir talon ou avant-pied ne changeait rien à la dynamique corporelle que l’on développe. Avec un minimum de connaissance et d’apprentissage technique il est possible de donner les moyens à un individu de se construire un corps différent, une dynamique corporelle différente, qui se transfère par conséquence à l’ensemble de ses pratiques sportives et dans son quotidien. Nous pouvons modifier nos automatismes, faire évoluer notre gestuelle, en agissant avec conscience. Nous ne devons pas nous laisser conduire pas des statistiques car nous ne sommes pas des machines inconscientes. Le corps a besoin d’être gouverné et son mode de fonctionnement compris et respecté.

Alors quelle technique de prise d’appui allez-vous apprendre à vos enfants (Talon ou avant-pied) ? Quels aspects techniques allez-vous-leur enseigner ? Quelles possibilités souhaitez-vous leur donner ?

Fred Brigaud – Joggeur n°25 mars/arvil 2017

Pour aller plus loin

La course à pied – Posture, Biomécanique, Performance | Ouvrage épuisé