Les bienfaits du pieds nus tout le temps

Entretien sur le thème ‘Les bienfaits de marcher pieds nus tout le temps’, novembre 2021. Questions (Julien Claudé-Pénégry), réponses (Fred Brigaud)

Quels sont les bienfaits de la marche pieds nus ?

Pour commencer je prendrai le problème à l’envers, car nous ne naissons pas avec des chaussures, elles ne viennent qu’après et diffèrent selon le lieu, l’activité, les cultures, les peuples, pour être parfois inexistantes. Ainsi nous devrions nous poser davantage la question suivante : Quels méfaits entrainent les chaussures ? Je répondrai alors qu’elles altèrent le fonctionnement du pied, qu’elles bloquent plus ou moins les ressources biomécaniques et impactent notre stabilité, notre ancrage. Pour comprendre cela, il faut savoir que le pied se compose de nombreuses articulations qui lui autorisent une grande mobilité. Je ne parle pas des mouvements du pied par rapport à la jambe, mais des mouvements au sein du pied qui ne se limitent pas à la mobilité des orteils. Ainsi pieds nus, selon l’appui que nous produisons, le pied se tord (creusant ou aplatissant l’arche interne), s’allonge, se raccourcit, l’arche antérieure épouse la forme du terrain. Il s’adapte à chaque situation, à chaque nouvel appui, des phénomènes mécaniques dont dépend directement notre stabilité.

Ce n’est pas une adaptabilité passive, mais active, contrôlée musculairement, qui nous assure un ancrage optimal lorsque les ressources biomécaniques de notre pied ne sont pas limitées par une chaussure mal conçue. Plus la chaussure est rigide plus elle limite et altère son fonctionnement. Cela revient à porter un plâtre en permanence qui, progressivement, affaiblit la musculaire du pied et le rigidifie. De tels phénomènes ne se perçoivent pas forcément en milieu urbain du fait que le sol sur lequel nous nous déplaçons est totalement aseptisé ; les trottoirs sont plats, larges et uniformes. Mais par contre, c’est une toute autre histoire lorsque nous devons marcher sur un sentier technique en montagne qui présente des creux, des bosses et des dévers. L’appui est moins sûr, moins stable. Pour revenir à la question de départ, marcher régulièrement pieds nus ou développer une foulée avant-pied sur un terrain présentant des creux, des bosses, et des devers entretient les ressources biomécaniques du pied, sa musculature, sa souplesse, … Cela permet progressivement de bénéficier d’un meilleur ancrage au sol, d’un pied plus fort, plus adaptable et de gagner en stabilité. Mais encore faut-il savoir poser le pied, car à trop marcher avec des chaussures rigides notre démarche perd de son naturel.

Le pied est également un organe sensoriel, sa plante recèle un nombre important de capteurs qui nous renseignent sur la nature du sol (humidité, température, viscosité, élasticité, dureté…), et la qualité de notre gestuelle. La chaussure nous prive de telles informations, et ce d’autant plus que la semelle est épaisse. Le fait de marcher pieds nus nous oblige à développer une démarche respectueuse de notre architecture, ce qui n’est pas le cas lorsque nous sommes chaussés. Pour résumer, mettre des chaussures qui altèrent le fonctionnement du pied, c’est perdre un sens et générer de nombreuses compensations. Donc militons pour un pied libre !

Mobilité du pied en appui avant-pied (Corriger le pied sans semelle, Ed Désiris) | Cliquez sur l’image pour découvrir le livre

Quelles sont les raisons qui font que marcher pieds nus semble être du domaine du tabou dans nos sociétés occidentales ?

Cela se résume en un mot ‘’va-nu-pieds’’, dont la définition est la suivante une personne très pauvre, qui vit misérablement, un vagabond (Larousse). ‘’Il paraîtrait qu’un bohémien, un va-nu-pieds, une espèce de mendiant dangereux serait en ce moment dans la ville.’’ Les misérables, Victor Hugo. Il me semble que tout est dit.

Pourquoi nos pieds sont-ils les parents pauvres de notre corps, enfermés, maltraités, non considérés ?

De par ma pratique en cabinet, c’est un mélange de culture, d’esthétisme, de méconnaissance, et de marketing car il faut vendre de la chaussure ! Le marché est pharaonique. Alors au-delà de la mode vestimentaire, les marques de chaussures nous vendent de la ‘’technologie’’, du maintien, de la stabilité, de la protection, … alors que la ‘’technologie’’ est en nous et est le fruit de millions d’années d’évolution. Lorsque nous comprenons un tant soit peu le fonctionnement du pied, et que nous le percevons, nous sommes à même de nous rendre compte que les chaussures sont très mal conçues pour ne pas dire contre nature. C’est justement en comprenant le fonctionnement du pied, ses différents mouvements et leurs fonctions que nous serons à même de fabriquer des modèles qui soient au plus proche de sa biomécanique. Lorsque nous sommes habitués aux pieds nus et que nos pieds sont suffisamment entrainés, nous percevons à juste titre que les chaussures sont des carcans et nous portons alors davantage attention à nos pieds.

Le retour au naturel, cela s’apprend ?

Le retour au naturel ne se fait pas en un claquement de doigt. Comme nous l’avons évoqué précédemment, à trop porter de chaussures épaisses et rigides le pied perd de sa musculature et de sa souplesse, il s’affaiblit. Notre pied n’est donc plus entrainé pour supporter les contraintes liées à la marche pieds nus, et encore moins à la course pieds nus, qui par ailleurs, nécessite de changer de technique de prise d’appui en passant à une foulée avant-pied, c’est-à-dire en prenant appui par l’arche antérieure du pied. De fait, le risque de blessure est très élevé. Il m’a fallu presque trois années pour que mes pieds soient à nouveau adaptés aux contraintes du pieds nus ou du comme pieds nus, c’est-à-dire chaussés de chaussures fines et totalement souples. L’adaptation du corps s’opère lentement et il faut y aller progressivement. Par ailleurs, à porter des chaussures dont la semelle est épaisse nous développons une démarche artificielle et inadaptée lorsque nous sommes pieds nus puisque les chaussures nous permettent de taper des pieds, d’attaquer fortement par le talon, sans que cela soit douloureux. Nous pouvons donc parler d’un temps de transition pour repasser aux pieds nus afin de renforcer les pieds et retrouver une démarche naturelle.

Le pied est-il adapté pour ne rien craindre dans nos univers modernes, jonchés de saletés, des dangers de l’urbanisme ? Peut-on marcher, courir pieds nus en toutes circonstances, au travail comme à la maison, dans le sport comme dans les transports ?

J’ai rapidement abandonné la course pieds nus en milieu urbain car entre les déjections canines, les morceaux de verres, le bitume qui suinte en été, les détergents, c’est prendre beaucoup de risques (coupures, infections, parasitoses,…). Il existe des chaussures ultrafines qui n’altèrent pratiquement pas la biomécanique du pied et permettent d’éviter des blessures inutiles en milieu urbain. Le pied nu est en lien direct avec le milieu naturel, mais là encore, nous sommes plus ou moins adaptés selon la surface. Nous n’avons pas des pieds aussi spécifiques que ceux des chameaux pour se déplacer sur le sable, ou des chamois pour se déplacer sur les rochers. Mais pour autant, nous avons la possibilité de nous déplacer pieds nus sur un grand nombre de types de surface avec plus ou moins de facilité. C’est une fois encore une question d’entrainement et d’adaptation du corps. Cependant, nous avons des limites que nous devons accepter. Je me rappelle une randonnée en montagne pieds nus jusqu’au pied d’un glacier en Savoie qui a été possible parce que le sentier était ‘’sablonneux’’, et les pierres plates et non tranchantes. Rien à voir avec les roches calcaires très abrasives que l’on trouve dans l’Atlas marocain où je ne me risque pas à marcher pieds nus, d’autant que nous y croisons souvent quelques scorpions. Il est nécessaire de prendre en considération le milieu et d’aboutir à un compromis.

De plus en plus de personnes abandonnent les chaussures pour vivre Pieds Nus en toutes circonstances, est-ce l’avenir ? Est-il bienvenu de quitter définitivement les chaussures tout le temps ?

S’il faudrait être totalement inconscient de marcher pieds nus dans une fonderie ou une scierie, et les exemples sont nombreux, marcher pieds nus en milieu naturel est un moyen pour renouer avec nos propres réalités et nos propres limites. Certains crieront que c’est un retour à l’âge de pierre alors que, en fait, c’est profiter pleinement de nos ressources puisque, finalement, la plante de pied est la seule partie de notre corps directement en contact avec le sol sur lequel nous nous déplaçons. Mais comme je le disais précédemment, le milieu urbain n’en fait pas partie. Quoi qu’il en soit gardons en tête que le pied nécessite d’être suffisamment entrainé, qu’il a ses propres limites et que tous les terrains ne sont pas appropriés.

Pour aller plus loin

e-learning | Reprogrammation posturale dynamique – **Cliquez sur l’image**

Un pied fonctionnel assure une jonction efficace avec le sol et optimise la prise d’appui, il s’accompagne d’un meilleur maintien de la « cheville » et participe ainsi à la prévention des entorses. De plus, il augmente la marge de manœuvre en cas de déséquilibre et permet de développer un appui plus dynamique.

Exemple d’amélioration de la statique et de la dynamique du pied chez un Traileur présentant un ‘’pied pronateur’’ associé à des instabilités de la cheville en 30 min à l’aide des exercices posturo-dynamiques d’EAD présentés dans l’ouvrage.
Avant/après – Slow motion.