Geste et rééducation suite à une entorse du genou

Le geste, élément clé de la rééducation suite à une entorse du genou

Octobre, les premières courses approchant à grand pas, les entraînements techniques sur les skis deviennent de plus en plus importants permettant aux skieurs d’affiner leur gestuelle. Retour sur un cas clinique. Un skieur se blesse au genou droit en chutant lors des entrainements à ski. Il présente une entorse du ligament latéral interne droit (LLI) sans signe de rupture, associée à un pincement du ménisque externe. Cette blessure l’oblige à stopper toute activité physique. Il suit une rééducation en kinésithérapie afin de retrouver une articulation mobile, non douloureuse, et un système ligamentaire sain pour reprendre le plus rapidement possible ses entraînements.

Reprendre le contrôle

Après quinze jours, il boite encore en marchant et ressent à chaque pas une douleur à la face interne du genou. Il perd peu à peu confiance dans la qualité de maintien de sa jambe droite, limite les appuis pied droit, et développe une gestuelle asymétrique. Son mental est critique car il ne voit pas la sortie du tunnel alors que le temps passe et que les autres s’entraînent. Il se trouve comme la plupart des sportifs à ce stade de la blessure dans un no mans land où la rééducation, l’entraîneur et le préparateur physique ne lui proposent pas d’alternative. Il reçoit toujours le programme de musculation que transmet le préparateur physique au groupe, mais ne peut plus s’entraîner et passe son temps entre le cabinet de kinésithérapie et son domicile. En plus de l’asymétrie qu’il développe, l’impact sur sa musculature est conséquent puisqu’il lui manque déjà deux semaines d’entraînement physique et technique malgré les séances de Compex.

Deux options possibles, soit attendre que la cicatrisation s’opère en considérant que son incapacité à marcher correctement provient de cela, soit équilibrer sa gestuelle pour ajuster au mieux les contraintes qui s’appliquent sur son genou et faciliter ainsi sa réathlétisation. Nous optons pour la seconde solution. Après 15 jours de rééducation, nous réalisons donc une séance dédiée exclusivement à la marche et à la course, au cours de laquelle il va réapprendre à prendre appui et gérer correctement l’organisation de son corps. Je commence par explorer son appareil musculosquelettique et sa démarche et voilà ce qu’il en résulte.

Exploration de l’articulation

  • LLI douloureux en appui bipodal (1/10), en légère triple flexion chevilles, genoux, hanches.
  • LLI douloureux à la palpation (2/10).
  • LLI douloureux en hyper extension (3/10).
  • Disparition de l’œdème.
  • Claquement méniscal résiduel en flexion.

Exploration de sa gestuelle

  • Claudication à la marche.
  • Claudication plus importante pour monter et descendre les escaliers.
  • Pas de maintien de l’appui unipodal à droite.
  • Impossibilité de trottiner.
  • Impossibilité de courir.

Evaluation et autogestion

La série de tests dynamiques à très faibles contraintes et de marche montrent des défauts de maintien durant la phase d’appui. On observe un valgus dynamique du genou (rentrée de genou) et de la ‘’cheville’’, dû à un désengagement de l’articulation sous-talienne, de l’interligne articulaire de torsion et des rotateurs externes du tibia sous le fémur. 

Mais également un défaut d’orientation durant la phase aérienne (éversion du pied droit, rotation externe du tibia) des différents segments qui composent sa jambe droite.

Ces défauts de maintien et d’orientation sursollicitent à chaque pas le ligament latéral interne en cours de cicatrisation alors même que son élasticité est encore très faible. Une gestuelle qui ne facilite pas la rééducation, bien au contraire. Son système musculaire a besoin d’être équilibré et sollicité correctement afin de retrouver un maintien efficient des différentes articulations quel que soit le mouvement entrepris. Il ne peut pas se permettre de développer des asymétries, des compensations, ni de limiter ses prises d’appui. L’objectif de la séance est de lui permettre de retrouver un appui complet et sûr dans la marche et la course en développant une gestuelle symétrique, sans défauts de maintien et d’orientation. Cette séance a également pour objectif de lui faire prendre conscience de ses difficultés et de ses limites du moment, de savoir vers quoi tendre et quels exercices mettre en œuvre. Nous visons l’autogestion. Ainsi il sera mieux à même d’orienter son thérapeute et ses entraîneurs durant sa réathlétisation.

Précision, répétition et régularité

La première partie de la séance (une heure) consiste à lui apprendre à positionner correctement les différentes articulations composant sa jambe, depuis la marche jusque dans les gestes de son quotidien. Il doit maitriser consciemment l’organisation de sa jambe et le déroulement de sa gestuelle. Nous débutons par des exercices de dissociation (hanche, genou, cheville, sous-talienne, avant-pied) assis par terre, sur une chaise puis debout. Ces exercices lui donnent le moyen de reprendre le contrôle de chaque articulation, de les dissocier les unes des autres, ainsi que leurs mouvements, et d’isoler facilement les contractions musculaires (cf. Exercices de dissociation). Sans ces exercices, il est difficile, voire impossible, de contrôler avec précision l’orientation des différents segments dans la marche et la course, de maintenir un empilement articulaire dynamique optimal. Nous poursuivons avec des exercices de marche sur place et de course sur place toujours pieds nus.

La marche et la course sur place nous obligent à prendre appui par l’avant-pied (arche antérieure) facilitant ainsi la gestion de l’amortissement et l’ajustement de l’orientation de l’ensemble des segments durant la phase aérienne (Cf. Orientation des segments), jusqu’à la phase d’appui. Rappelons que la phase aérienne est déterminante dans l’ajustement de l’orientation des segments (Cf. Contrôle de l’orientation de l’arche antérieure) car, une fois en appui, il est trop tard. Il réapprend donc à poser sa jambe en produisant un empilement parfait et à le maintenir durant la phase d’appui. Nous débutons avec une fréquence de pas (cadence) faible et l’augmentons progressivement jusqu’à dépasser 220 ppm (pas par minute) en fin de séquence. Le référentiel est le juste empilement articulaire et son maintien. Dès que la gestuelle se dégrade, nous repassons à la marche sur place ou aux exercices de dissociation.

Une fois ceci acquis et maîtrisé, nous passons sur les Steps pour travailler la montée et la descente des escaliers. Un exercice qui s’effectue pieds nus et en appui avant-pied en respectant les mêmes référentiels que précédemment. A chaque pas la répartition de la pression sous l’arche antérieure et son évolution le renseignent sur la qualité de son appui (stabilité) et l’orchestration de sa jambe. Puis nous travaillons directement dans des escaliers en enchaînant les étages aussi bien en montée qu’en descente afin de s’assurer du niveau de conscience de la gestuelle recherchée. L’ensemble des exercices, depuis les exercices de dissociation jusqu’à la course sur place, s’effectuent sans douleur.

Prendre le temps

Après une heure, lorsque le skieur est capable de maîtriser l’organisation de ses jambes, nous allons en extérieur réapprendre à trottiner. Dans cette seconde partie de la séance, nous alternons marche avant-pied et foulée avant-pied sur un terrain plat et uniforme en extérieur. Nous commençons par courir à seulement 1,5 km/h, c’est presque du sur place. Certains penseront que ce n’est pas courir ; cependant c’est oublier que la course n’est pas une question de vitesse mais de gestuelle. La course se différencie de la marche par le fait qu’il existe une phase durant laquelle il n’y a aucun appui, et qu’à aucun moment les deux pieds sont au sol en même temps. C’est pourquoi il est possible de courir sur place. Nous augmentons progressivement la vitesse pour trottiner à 5/6 km/h maximum.

Cette deuxième partie de la séance a pour objectifs de :

  • Lui redonner confiance en ses appuis.
  • Augmenter les contraintes d’appui.
  • Renforcer la reprogrammation du système musculaire stabilisateur.
  • Retrouver une forme d’entraînement.

Nous construisons cette deuxième partie de séance sur les mêmes bases, ressenti corporel, canalisation et maîtrise du geste. Après une heure et demie de travail sur sa gestuelle, le skieur est de nouveau capable de marcher, de monter et de descendre les escaliers, et de trottiner sans boiter et sans douleur. Il en avait donc la capacité mais ni la connaissance ni la maîtrise.

La part technique du geste

Durant cette séance, nous n’avons pas agit directement sur le LLI. Nous avons seulement appris au sportif à organiser correctement son corps dans le mouvement et par conséquent s’assurer d’une utilisation physiologique de chaque élément le composant. Grâce à ce type de séance, nous limitons l’apparition des différents phénomènes compensatoires, souvent lourds de conséquence à plus ou moins long terme, qui peuvent survenir suite à une blessure. Nous facilitons l’autogestion et permettons au sportif de retrouver plus facilement confiance en ses appuis, en réduisant ses appréhensions de façon notable. Nous le poussons à devenir acteur. Le skieur augmente ses compétences et est en mesure d’utiliser de nouveaux référentiels (référentiels posturaux dynamiques) depuis son quotidien jusque dans sa pratique sportive ; Savoir où l’on se situe, vers quoi tendre et ce qu’il est possible de mettre en œuvre. Sa rééducation devient permanente et non plus limitée à ses séances de rééducation ce qui, par conséquent, en diminue la durée.

Lire l‘article dans le n°120 du magazine de l’AFESA

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