Le foot se joue aussi avec les bras – biomécanique Cristiano Ronaldo

Par Frédéric Brigaud
Sept – 2014 | Vestiaires Magazine

Accélérer sa gestuelle technique en employant le haut du corps
Prendre du recul,

A focaliser notre attention sur le ballon et les jambes lors d’un dribble on en oublie le reste du corps. Pourtant, lorsque l’on prend du recul et que l’on élargit le champ de vision jusqu’à englober l’ensemble du corps, on peut être surpris par la gestuelle de Cristiano Ronaldo qui diffère nettement de la plupart des autres joueurs, mobilisant davantage le haut du corps (amplitude, vélocité). Non pas qu’il balance ses bras dans tous les sens pour rattraper un déséquilibre momentané, bien au contraire, ses mouvements sont contrôlés, précis et rythmés. Ils font corps avec le buste, en ce sens qu’ils ne se départissent pas de celui-ci, ils l’accompagnent, favorisant/renforçant même son mouvement. Ceci n’est pas le fruit du hasard et a pour objectif d’enclencher une biomécanique particulière qui accélère le mouvement des jambes.

Le corps, un tout indissociable…

Pour comprendre ce phénomène, rappelons que le corps se compose de plusieurs segments avant-bras, bras, buste, bassin, cuisses, jambes… qui peuvent se mobiliser indépendamment les uns des autres, puisque s’articulant entres eux. Des segments mis en mouvement par un système musculaire qui s’enracine plus ou moins profondément dans le corps unifiant mécaniquement cet ensemble. Le corps est donc un tout indissociable dont la mise en mouvement d’une partie, d’un segment, se répercute sur l’ensemble. Ce point essentiel est à la base de la mécanique employée par Cristiano Ronaldo. Pour s’en rendre compte, rien de plus simple, debout les pieds joints, mobilisez rapidement le bras droit horizontalement de droite à gauche durant plusieurs secondes. L’ensemble du corps se met alors en mouvement, un mouvement inverse et proportionnel à celui du bras, qui équilibre les accélérations et décélérations. Dans cet exercice, plus le mouvement est rapide plus le corps est déséquilibré, déstabilisé ! Pourtant, lorsque l’on marche ou court, le balancement des bras ne nous déstabilise pas, bien au contraire, c’est l’absence de balancement des bras qui rend la démarche instable. Tout simplement parce que les bras viennent contrebalancer le mouvement alternatif des jambes. Ces deux parties du corps, sans que l’on en ait conscience, s’équilibrent. On peut remarquer par ailleurs, que le balancement alterné des bras peut s’accompagner ou être remplacé par un pivotement alterné du buste.

Un balancement actif des bras se répercute jusque dans le mouvement des jambes…

Face à ce phénomène ascendant (des jambes vers le buste et les bras), nous sommes en droit de nous demander si les bras et le buste ne pourraient pas contribuer à optimiser le mouvement des jambes ? C’est effectivement le cas lorsque l’on passe d’un balancement passif des bras (résultat du mouvement alternatif des jambes) à un balancement actif dans la marche ou la course. Il faut discerner deux mécanismes : être mis en mouvement (conséquence) et mettre en mouvement (origine). Dès lors, on peut comprendre qu’un balancement actif des bras, en plus de contrebalancer le mouvement des jambes et de stabiliser la course, participe à la propulsion (La place du haut du corps. Frédéric Brigaud, La course à pied – Posture, Biomécanique, Performance, Editions DésIris, 2013.). Reste alors à synchroniser correctement ce balancement actif des bras avec le mouvement des jambes pour que cela fonctionne.

fig.1

 De la course au dribble il n’y a qu’un pas…

Si ce mécanisme et ses conséquences sont facilement compréhensibles dans la marche et la course, ils peuvent être plus difficiles à percevoir lorsqu’on les transpose au dribble. Pourtant, rien ne change, si ce n’est que les jambes produisent alternativement un mouvement circulaire autour du ballon pendant que l’ensemble bras/buste pivote alternativement de la droite vers la gauche. Un mouvement simple qui se combine de la manière suivante : en appui sur la jambe gauche, la jambe droite en l’air avance et contourne le ballon par l’intérieur pendant que le buste pivote vers la droite (fig.1) puis la jambe droite recule en contournant le ballon par l’extérieur pendant que le buste pivote vers la gauche et ainsi de suite. Cristiano Ronaldo y parvient remarquablement et en use et en abuse quelque soit l’allure, surclassant et surprenant ainsi ses adversaires.
Ce qu’il faut retenir c’est l’accessibilité et la reproductibilité de cette gestuelle, de cette stratégie biomécanique. Reste alors à l’observer dans un premier temps, en comprendre les mécanismes, puis la mettre en œuvre jusqu’à l’automatiser.


Pourquoi parler de stratégie biomécanique ?

Le principe de stratégie (art de combiner les actions) suggère qu’il existe plusieurs manières d’atteindre un même but. Pour mieux comprendre cette notion de stratégie biomécanique, évoquons le cas de Dick Fosbury qui a révolutionné la technique du saut en hauteur en franchissant la barre de dos alors que les autres athlètes effectuaient un rouleau ventral. Cette technique lui a permis de gagner les JO de Mexico en franchissant 2,24m. Deux gestes, deux techniques totalement différentes pour un même objectif sportif mais dont l’efficacité diffère fortement. Jusqu’à aujourd’hui le fosbury reste la technique la plus efficace. Lors d’un dribble, deux stratégies biomécaniques sont possibles, employer activement ou non le haut du corps. Même si la comparaison est osée, pourquoi ne pas parler de CR7 pour mentionner la technique si particulière de Cristiano Ronaldo. Par ailleurs, il est à noter que la technique de Fosbury a mis du temps avant d’être enseignée, celle-ci bouleversant quelque peu les habitudes.


Construire un corps adapté à cette stratégie 

Si cette stratégie est accessible, elle ne s’acquière pourtant pas en claquant des doigts et nécessite le développement de capacités biomécaniques spécifiques sans lesquelles le mouvement serait laborieux, robotique, inefficace voire traumatisant si mal construit. Il faut percevoir le fait qu’un geste technique répétitif façonne le corps avec le risque de stéréotyper la gestuelle globale d’un joueur jusqu’à en limiter son panel de jeu et ses capacités d’apprentissage. En ce sens que la répartition de la force entre les différents groupes musculaires et leurs amplitudes sont en partie déterminées par la gestuelle que le joueur reproduit inlassablement. Sans un travail conscient et spécifique, progressivement sa gestuelle s’emprisonne et se limite d’elle-même, certaines parties de son corps peu exploitées perdent alors en mobilité. Dès lors, une nouvelle gestuelle, et à plus forte raison une nouvelle stratégie biomécanique qui nécessite de solliciter différemment chaque partie du corps, requière une connaissance spécifique de sa construction pour s’assurer d’un apprentissage efficace et d’un rendu optimal.


Prendre le temps de regarder

Regardez plusieurs fois les vidéos ci-dessous jusqu’à percevoir le mouvement. Pour chacune d’elle, commencez par focaliser votre attention sur le haut du corps, puis sur les jambes, puis simultanément sur le haut du corps et les jambes. Un cercle jaune apparait au moment où le haut du corps s’enclenche. N’hésitez pas à appuyer sur pause et observez le positionnement de la jambe et l’axe des épaules.

Vidéo n°1. Dans cette première vidéo, observez le pivotement dynamique, volontaire et vif de l’axe des épaules indépendamment du bassin qui se combine au mouvement des jambes. La séquence se répète plusieurs fois

Vidéo n°2. Dans cette seconde vidéo, comparez la gestuelle de Cristiano Ronaldo à celle déployée par Zinedine Zidane. Observez la capacité de dissociation buste/bassin que Ronaldo est capable de mettre en œuvre ainsi que le niveau de cohésion du haut du corps (bras/buste).


Pour aller plus loin