Quand la course à pied devient un vecteur posturo-dynamique pour la rééducation

Profession kiné n°44
Sept 2014 – Par Fred Brigaud

Au travers d’un exemple de pathologie simple, nous allons montrer l’utilité d’une analyse posturale globale permettant un travail rééducatif ciblé.

Mille coureurs, mille gestuelles. Sans être expert, en observant un coureur, nous sommes à même au premier regard de faire la différence entre un geste efficace ou inefficace. Avec plus d’attention, nous percevons chez certains coureurs des asymétries plus ou moins marquées, des mouvements que l’on pourrait qualifier de « parasites » car en inadéquation avec l’action menée venant, de ce fait, déstabiliser/altérer le mouvement et « l’alourdir». En observant de face les coureurs et en focalisant notre attention sur l’évolution de l’empilement des jambes à chaque foulée, il est possible de relever chez certains une absence ou une perte d’alignement, en ce sens que la jambe, au lieu d’être rectiligne, forme une ligne brisée, un phénomène qui s’accentue sous la contrainte et avec la fatigue. Est-ce une fatalité ? Est-ce viable ? Est-ce réductible ?

1. La consultation au cabinet

Un coureur vient consulter en cabinet pour une douleur récurrente au niveau du genou droit qui devient invalidante. L’examen met en évidence une inflammation de l’insertion des muscles de la patte d’oie, ainsi qu’une douleur localisée au niveau de la corne postérieure du ménisque externe dès sa mise en tension. Mentalement, au fil de l’examen, se dessine un protocole thérapeutique qui permettra de résorber ces différentes lésions en un minimum de temps, ce qui est le cas une fois réalisé. Cependant le mois suivant, ce patient consulte de nouveau avec une symptomatologie identique. La mise en place d’un protocole de traitement semblable au précédent permet au sportif de courir de nouveau assez rapidement sans douleur. Seulement trois semaines s’écoulent avant qu’il ne consulte de nouveau pour la même symptomatologie, inquiet de cette pathologie récurrente dont il n’arrive pas à se défaire. Que faire ? Cela sous-entend-t-il que l’arsenal thérapeutique est inefficace ? Assurément non, puisque à l’issue du traitement les tests à disposition confirment la fonctionnalité des différents éléments précédemment lésés. Doit-on pour autant recommencer inlassablement le même traitement ? Cette pathologie est apparue progressivement, insidieusement, sans notion de choc direct. Dès lors, n’est-il pas possible que ce coureur, dans son quotidien ou sa pratique sportive, reproduise un mécanisme qui génère ces différentes lésions ? Est-ce de notre compétence ? Comment explorer le quotidien de cette personne ?

2. Quand le geste devient pathologique

La notion de TMS1, si elle a mis du temps à émerger et être acceptée pour diverses raisons, fait de plus en plus partie du monde du travail et peut difficilement être ignorée. Chacun est plus ou moins conscient qu’un poste de travail inadapté ou un geste professionnel répétitif inadapté, en ce sens qu’ils entraînent une posture peu respectueuse des limites physiologiques de l’appareil locomoteur, sont susceptibles de produire une altération progressive, temporaire ou irréversible, de l’organisme. En raison du coût des arrêts de travail et des soins consécutifs aux TMS, une action à l’échelle de la nation est menée depuis plusieurs années pour en limiter au maximum leur nombre. Cette action repose sur l’analyse et l’éducation2 pour ne pas dire la rééducation qui sont des éléments clés dans la lutte contre les TMS. Or, précédemment, nous avons évoqué le fait que les coureurs pouvaient présenter des mouvements « parasites ». Ne serait-il pas possible alors qu’ils soient, dans une certaine mesure, à l’origine de pathologies ? Et par analogie, n’est-ce pas assimilable à des TMS puisqu’un coureur à pied répète inlassablement le même geste ? Ce geste qui, rappelons-le, avec la fatigue et/ou l’augmentation des contraintes tend à se détériorer3 ; en ce sens que les mouvements que nous avons qualifiés de parasites s’accentuent. N’est-il pas possible de faire le lien entre la gestuelle que nous avons sous les yeux et les pathologies que nous retrouvons en cabinet ? Ce lien a été réalisé dans le monde du travail, pourquoi ne le serait-il pas dans la pratique sportive et le quotidien ? Chez ce coureur, quels mouvements sommes-nous susceptibles d’observer ?

3. Un test simple et reproductible pour une première analyse posturo-dynamique

Nous vous proposons de commencer par reproduire et tester successivement les deux positionnements ci-dessous en cherchant à percevoir, en fonction de l’organisation des jambes, les tensions et les contraintes qui apparaissent au sein de l’articulation du genou. Laquelle des deux organisations est la moins contraignante, la plus viable physiologiquement pour le genou ? Sans nul doute l’image de droite où la personne présente un empilement articulaire effectif. En cas d’absence d’alignement, on ressent une mise en tension des différents éléments capsulo-ligamentaires à la face interne du genou (LLI, insertion des muscles de la patte d’oie,…) ainsi qu’une compression du compartiment externe du genou. Cette posture4, si elle est maintenue ou répétitive, impacte l’intégrité de la structure. Elle est possible mais peu viable à long terme et encore moins sous fortes contraintes. Qu’en est-il en mouvement ? Le coureur, en short (les genoux visibles) et pieds nus, se place devant vous, les pieds joints et parallèles, les bras croisés, les mains posées sur les épaules. A partir de cette position, il effectue dix mouvements de flexion/extension sur la jambe droite puis dix mouvements de flexion/extension sur la jambe gauche, lentement, au rythme d’un mouvement toutes les secondes. Il suffit alors d’observer l’évolution du positionnement des articulations du genou et de la cheville par rapport à un axe passant par la hanche et le milieu du talon (axe EAD, axe d’Empilement Articulaire Dynamique©) et de déterminer s’il tend vers l’image de droite ou de gauche. Nous évaluons ici l’évolution de sa posture en dynamique, c’est-à-dire l’évolution de l’organisation du corps dans le mouvement. Nous constatons que le coureur n’est pas en mesure de maintenir spontanément l’empilement des articulations de sa jambe droite. Ce premier test chez le coureur met donc en évidence un déficit d’organisation de la jambe droite que nous retrouvons lorsqu’il effectue un bond en avant, mais également lorsqu’il court, à chaque foulée. Une désorganisation en course moins importante que lors du test de flexion/extension mais qui se répète et s’aggrave avec la fatigue et la vitesse. Nous ne sommes pas ici dans la construction du geste technique mais dans la gestion de l’organisation du corps dans la réalisation du geste technique sportif, ce qui est très différent et nécessite un travail spécifique.

4. Analyse et axes de travail

Nous savons qu’un geste mal construit peut être à l’origine de pathologies, il en est de même pour une absence de gestion de l’organisation du corps dans le geste, un élément essentiel pour la prévention des blessures, la rééducation et la réathlétisation. Cela débute donc par l’observation/l’analyse puis la mise en place d’un travail posturo-dynamique spécifique, qui diffère totalement d’une séance dite de proprioception en instabilité où le sportif tente tant bien que mal de garder l’équilibre sans tenir compte de cette notion d’organisation. Ce n’est pas dans le déséquilibre que l’on permet au corps de s’aligner, sinon il suffirait de placer toutes les personnes ne se tenant pas droites sur des plateaux instables pour qu’elles se redressent ! C’est, par ailleurs, laisser une forte place au hasard puisque la stratégie qu’elles mettront en oeuvre pour garder l’équilibre ne garantira aucunement une modification adaptée de leur posture. C’est pourquoi, il est nécessaire de différencier équilibre, stabilité et organisation, qui sont trois éléments distincts. Etre en équilibre (ne pas tomber) ne veut pas dire être stable et encore moins organisé tout comme être stable ne veut pas dire être organisé… Par ailleurs la distinction de ces critères est une première étape nécessaire pour jauger de certaines capacités posturo-dynamiques de l’individu5. Un déficit d’empilement articulaire dynamique de la jambe6 n’est pas une fatalité et peut être corrigé sans matériel ou orthèse. Pour cela le patient doit acquérir consciemment des référentiels posturaux et réaliser un panel d’exercices spécifiques et individualisés associé à un travail de prise d’appui rigoureux et précis. C’est pourquoi la course à pied avec une prise d’appui avant-pied est à même de devenir un vecteur posturo-dynamique7 puissant et efficace permettant au coureur de calibrer et renforcer l’organisation de sa jambe depuis le quotidien jusque dans sa pratique sportive, ayant pour conséquence de le libérer des pathologies récurrentes dont il souffrait.

Conclusion

C’est pourquoi, il est à noter que cette configuration de la jambe (photo de gauche figure 1) n’est pas sans rappeler celle que l’on observe, entre autres, lors de rupture du ligament croisé antérieur, que cela soit dans la pratique du ski alpin8 ou de toutes autres disciplines sportives telles que le football par exemple. Dès lors, être en mesure de déceler cette absence d’EAD (Empilement Articulaire Dynamique) en cabinet jusque dans le geste technique sportif est le point de départ à toute action de prévention, de rééducation et de réathlétisation, d’autant que ces notions touchent l’ensemble des disciplines sportives, mais également le non sportif dans son quotidien au travers de la marche.
Annotations

  1. TMS : Troubles musculo-squelettiques.
  2. Apprentissage d’une nouvelle gestuelle plus adaptée et davantage respectueuse de la physiologie de l’appareil locomoteur.
  3. Courir moins mais mieux, Jogging international n°349 – Nov 2013 (Entretien).
  4. Un déficit d’empilement articulaire en dynamique impacte l’ensemble des articulations de la jambe (hanche, genou, cheville, sous-talienne, Interligne articulaire de torsion) mais également le reste du corps à plus ou moins long terme
  5. Fred Brigaud (2006, 2011, 2013)
  6. En dehors de toutes pathologies et malformations traumatiques ou congénitales
  7. Fred Brigaud, La course à pied – Posture, biomécanique performance, DésIris, 2013
  8. Fred Brigaud, L’entrainement ou la génèse de la blessure, Colloque AFESA/Plaweski « Le ski et la blessure », Grenoble 2006

Pour aller plus loin


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