Pas de pied, pas de 7b ! Un pied, cela se construit

Pas de pied, pas d’escalade ! La précision et le maintien de l’appui sont des éléments essentiels dans la pratique de l’escalade, Lapalisse n’aurait pas dit mieux. Cependant, il ne faut pas se fier aux apparences car ce n’est pas parce que notre pied adhère à la paroi que sa statique et sa dynamique sont optimales. Elles peuvent en effet impacter insidieusement notre équilibre et limiter le nombre de postures et de gestuelles que nous sommes en mesure d’adopter. La mécanique du pied est plus complexe qu’il n’y parait, mais pas compliqué pour autant, ce n’est qu’une question de conceptualisation de son fonctionnement.

Pour cerner cette problématique nous pourrions nous poser la question suivante, sommes-nous tous capables de tenir n’importe quel type d’appui au niveau des pieds? Une question à laquelle il est difficile de répondre car le corps, en raison du nombre d’articulations qu’il possède, est en mesure de compenser mille et un défauts et ainsi donner l’illusion de fonctionner de façon optimale. Et ce d’autant plus si nous focalisons notre attention, lorsque nous grimpons, seulement sur notre capacité à enchaîner les pas et non sur le déroulement de la gestuelle, la justesse de nos appuis et la succession de postures que nous adoptons. Nous ne sommes pas en train de dire qu’il n’existe qu’une seule gestuelle mais plutôt qu’un système équilibré qui fonctionne à son meilleur potentiel augmente les possibilités du grimpeur, permet de gagner en précision et en économie. Le pied ne fonctionne pas seul, il est la base à partir de laquelle se construit l’appui mais il est également l’extrémité qui s’adapte et compense les défauts sus-jacents. C’est un élément de jonction entre la paroi et le reste du corps. Une défaillance à son niveau génère une multitude de compensations, augmente le coût énergétique et diminue l’éventail des possibilités.

Oukaïmeden. Maroc

Au départ d’une voie en milieu naturel, nous ne savons jamais quel type d’appui il va falloir réaliser. Pourtant, notre aisance dépendra, entre autre, de la palette de mouvements que nous pourrons produire avec nos pieds et de leur adaptabilité. Sans être exhaustif, nous pouvons dire que cela dépend de la statique et de la dynamique du pied, c’est-à-dire de notre capacité à tenir et à moduler l’orientation du pied par rapport à la jambe mais également à tenir et moduler sa forme ! Ce que nous sommes en train de dire, c’est que le pied n’est pas un bloc rigide, que sa forme varie dans de grandes proportions et que cette adaptabilité est essentielle.

Orienter le pied

La jambe en l’air tendue devant soi, nous pouvons tendre la pointe de pied vers le ciel ou vers le sol dans un mouvement de flexion et d’extension de la cheville (fig.1), amener la pointe de pied vers l’intérieur ou vers l’extérieur (fig.2) dans un mouvement d’inversion ou d’éversion de l’articulation sous-talienne (un nom barbare, et encore ce n’est que son diminutif car son nom complet est Talo-calcanéo-naviculaire), faire des cercles dans un sens et dans l’autre avec la pointe du pied, qui est une combinaison des deux mouvements précédemment décrits, mais également fléchir et tendre les orteils ou encore les écarter pour les plus agiles et adeptes de la plage.

Fig.1

En dehors de la mobilisation des orteils, ces différents mouvements nous permettent d’ajuster l’orientation de notre pied en fonction de notre posture au moment où nous prenons appui, de la prise (taille, forme et orientation) sur laquelle nous posons le chausson, et du pas que nous allons réaliser une fois en appui pour maintenir un maximum d’adhérence. Mais encore faut-il avoir suffisamment de force dans les différents muscles qui contrôlent et stabilisent le pied en appui.

Fig.2

Debout, pieds nus le talon au sol, lorsque vous ‘’cassez’’ la cheville vers l’extérieur vous effectuez un mouvement d’inversion et, à l’inverse, lorsque la cheville part vers l’intérieur, un mouvement d’éversion. Les muscles qui contrôlent ces mouvements stabilisent la ‘’cheville’’ latéralement et évitent les entorses. Une faiblesse à ce niveau entraine des instabilités dites de la cheville et une difficulté, voire une incapacité, à maintenir ses pieds sur la paroi dès que les contraintes latérales sont importantes. Un grimpeur présentant de telles instabilités compense en adoptant des postures peu économiques et sollicite de façon excessive certains groupes musculaires au risque de développer des tendinopathies. Si une séance de proprioception sur un plateau de Freeman améliore légèrement cette problématique, elle fige les défauts de posture et ne permet pas de développer un pied fort, car les muscles qui stabilisent le pied s’insèrent profondément dans celui-ci  et dépendent de sa mobilité et de son adaptabilité intrinsèque. Pour résumer, la qualité d’un appui sur la paroi dépend du contrôle de la mobilité du pied par rapport à la jambe et du contrôle de la mobilité interne au pied.

Théo Brigaud dans ‘Petite Colonne’, 7b. Amellago, Maroc

Lire aussi – Adam Ondra, ses défauts de posture ou la robustesse d’un corps. Analyse posturo-dynamique de ses appuis

Un pied adaptable et fort !

Un grimpeur se doit de posséder un pied qui se tient, c’est-à-dire dont l’architecture se maintient. Cela parait évident et pourtant tous les pieds ne se tiennent pas, il faut pour cela une musculature dite intrinsèque et extrinsèque adaptée, suffisamment développée, forte et endurante, pour résister aux différentes contraintes auxquelles il est soumis. Mais pas seulement, il faut aussi que sa statique et sa dynamique soient équilibrées, c’est-à-dire qu’il possède une posture optimale. Des notions qui deviennent plus évidentes lorsque nous prenons conscience que le pied n’est pas un bloc rigide, qu’il possède plusieurs articulations et que sa forme évolue instantanément et dans de grandes proportions selon l’appui que nous produisons et l’orientation de la jambe, comme en témoigne cette vidéo.

Dans cette vidéo nous pouvons voir que le talon se déplace de plus de 8cm latéralement par rapport à l’avant-pied en appui et fixe, l’arche interne se creuse et s’aplatit, la longueur et la hauteur du pied augmentent et diminuent de plus de 1,5 cm. Cette mobilité naturelle du pied détermine notre stabilité ; la limiter c’est diminuer notre potentiel et impacter notre statique et notre dynamique. Ainsi, une personne qui porte des chaussures rigides au quotidien ou dans sa pratique sportive favorise l’affaiblissement de la musculature du pied ; à l’image d’un pied que l’on plâtre qui voit sa masse musculaire fondre et ses articulations se ‘’raidir’’. Car dans des chaussures rigides, qui ne se déforment pas ou très peu au gré de la surface et des appuis, le pied ne s’adapte plus et s’affaiblit. Une aberration en soi puisque sa stabilité dépend de sa capacité à s’adapter et que sa musculature dépend de cette adaptabilité. La solidité des appuis en escalade dépend de la force et de la résistance de la musculature interne (intrinsèque) et externe (extrinsèque) qui mobilisent les différentes articulations composant le pied (fig.4).

Fig.4

La forme du pied, qui se compose de 26 pièces osseuses, doit donc pouvoir évoluer instantanément en fonction de la surface sur laquelle il prend appui et de l’orientation de la jambe afin de bénéficier d’une adhérence toujours optimale. Soulignons le fait que nous parlons ici des mouvements au sein du pied et non pas du pied par rapport à la jambe !

Un pied mobile dans tous les plans

Aux différents mouvements du pied par rapport à la jambe décrits précédemment, s’ajoutent des mouvements propres/intrinsèques au pied. Ainsi, lorsque nous fléchissons fortement les orteils, la voûte plantaire se creuse et la longueur du pied diminue légèrement, dus au mouvement de flexion des différentes colonnes du pied (métatarsiens et cunéiformes). Il existe également au sein du pied un mouvement d’adduction/abduction (fig.5), un mouvement de torsion (fig.6), ainsi qu’une mobilité de la tête des métatarsiens qui forment l’arche antérieure et qui permet à celle-ci de s’incliner latéralement ou encore de se creuser ou de se bomber.

Gagou – Maroc

D’un point de vue technique le mouvement d’adduction/abduction permet d’orienter latéralement la partie antérieure du pied (l’ensemble médio-pied/avant-pied) indépendamment de l’arrière-pied, ces deux parties pouvant présenter ainsi une orientation différente. Cette indépendance confère à la partie antérieure du pied une fonction d’interface, c’est-à-dire un élément de jonction entre la paroi et le reste du pied dont l’orientation s’ajuste à la surface sur laquelle nous prenons appui pour davantage de stabilité, d’équilibre, de précision et d’adhérence. Ce mouvement s’effectue au niveau de l’Interligne Articulaire de Chopard (IAC) pour ceux qui souhaitent localiser cette articulation et pouvoir la nommer (fig.5).

Fig.5

Le second mouvement n’est autre que la torsion, c’est-à-dire la rotation de l’avant-pied indépendamment du reste du pied (fig.6 et 6 bis). Ce mouvement permet d’incliner latéralement l’arche antérieure indépendamment du reste du pied et inversement, et ainsi absorber les dévers ou encore de pouvoir faire évoluer l’orientation de la jambe en appui (arrière-pied inclus) sans perdre le contact avec la paroi.

Fig.6 Mouvement de torsion en appui – Neutralisation d’un dévers.

Ces deux articulations confèrent à la partie antérieure du pied un rôle d’interface qui assure un contact optimal. Si ces mouvements ne sont pas possibles ou limités, que cela soit par le chausson d’escalade, la chaussure que l’on porte ou en raison d’un manque de souplesse, de force ou de contrôle, ils seront compensés par les articulations sus-jacentes impactant de ce fait la posture de la jambe et du corps, sa statique et sa dynamique. Pour résumer, cela sera source d’instabilité, d’appui fuyant, de perte d’adhérence. Le grimpeur aura également une difficulté à positionner efficacement son centre de gravité et à orchestrer son corps autour de ses appuis. Reste à retrouver cette mobilité et musculature naturelle et à l’entretenir.

Fig.6 bis – Mouvement de torsion en appui – Changement d’orientation de la jambe.
Un pied cela s’éduque !

Vous  avez probablement tous cette expérience en mémoire. Après avoir porté tout un été des chaussures très souples ou des tongs, il était difficile de rentrer à nouveau ses pieds dans des chaussures de ville en cuir, les pieds s’étant élargis. Ce n’est qu’après une semaine environ, et quelques frottements douloureux, que les pieds ont pu de nouveau rentrer sans difficulté dans celles-ci. Durant l’été, le pied ne s’est pas affaissé, il a tout simplement retrouvé sa forme et son volume naturel. Car lorsque nous portons quotidiennement des chaussures de ville ou des tennis étroites, notre pied reste artificiellement étroit. Nous recherchons alors des chaussons d’escalade toujours plus étroits pour les sentir au plus près de notre pied entrant dans une sorte de cercle vicieux où le pied ne peut plus retrouver sa forme originelle. De plus, dans un pied compressé, le sang et l’influx nerveux circulent mal, les mouvements sont limités et le système musculaire ne peut se développer.

Secteur Envers des grenouilles – 7b – Amellago – Maroc

Cependant, marcher les pieds nus ou comme pieds nus en portant des chaussures à tendance barefoot n’est pas suffisant et ne nous permettra pas de trouver ou de retrouver un fonctionnement optimal du pied. Il est nécessaire parallèlement d’effectuer un travail spécifique d’assouplissement, de renforcement, ainsi qu’un travail technique de pose de pied.

Développer un pied fort en 6 points
  1. Porter des chaussures qui respectent la biomécanique du pied au quotidien puis lors des marches d’approche. Chaussure de type barefoot (cf. Comprendre le pied pour mieux choisir ses chaussures)
  2. Habituer progressivement son pied à ce type et niveau de sollicitation. Soulignons le fait que le passage de chaussures rigides à des chaussures totalement souples demande un temps d’adaptation de l’appareil musculaire, tendineux et squelettique. Il faut donc y aller progressivement et alterner avec ses anciennes chaussures portant par exemple ce matériel seulement quelques heures par jour la première semaine, puis un jour complet sur deux la seconde semaine, puis deux jours sur trois,… ainsi de suite. En ayant toujours avec soi ses anciennes chaussures. Une lente transition qui doit se faire sans la moindre douleur et à moduler en fonction de ses capacités du moment. C’est la première étape avant de pouvoir l’employer dans des marches d’approche où le niveau de sollicitation sera encore plus grand, le pied se mobilisant davantage.
  3. Faire évoluer sa marche : longueur de pas, cadence, angle d’attaque,…
  4. Rééduquer son pied ; assouplir les différentes articulations (arche antérieure, IAT (interligne articulaire de torsion, Chopard, Articulation sous-talienne), réactiver et renforcer le système musculaire stabilisateur jusqu’à en reprendre le contrôle (fig.7).
  5. Utiliser la foulée avant-pied dans le cadre d’une ppg (préparation physique générale). Apprendre à marcher avec une attaque avant-pied. Les différents mouvements intrinsèques que nous avons évoqués sont susceptibles d’apparaitre dès que nous marchons ou courons avant-pied sur un sentier stabilisé présentant des creux, des bosses et des dévers permettant ainsi d’entretenir sa mobilité et sa musculature.
  6. Travailler la part technique du geste, c’est-à-dire la qualité du déroulement du geste dans la marche.
Fig.7 Le passage au pied nu ne garantit pas un fonctionnement optimal du pied. Cela nécessite un travail conscient et spécifique.

Cela peut paraître extrêmement complexe et chronophage, mais ce n’est pas le cas, il suffit de reproduire quelques mouvements simples, porter progressivement des chaussures souples et agir avec conscience (cf. Routine). Nous avons exploré ici toute l’importance des mouvements intrinsèques du pied, nous verrons dans un prochain article comment reprendre le contrôle des mouvements du pied par rapport à la jambe et contrecarrer davantage les instabilités de la cheville !

Que retenir
  • La qualité d’un appui sur la paroi dépend du contrôle de la mobilité du pied par rapport à la jambe et du contrôle de la mobilité interne au pied.
  • Le pied n’est pas un bloc rigide.
  • La partie antérieure du pied est une interface qui assure la jonction entre la paroi et le reste de la jambe arrière-pied inclus.
  • La qualité de la musculature de nos pieds et leur adaptabilité dépendent des chaussures que l’on porte au quotidien mais aussi dans nos pratiques sportives.
  • L’adhérence dépend du niveau de fonctionnalité du pied.
Pour aller plus loin

Développer de la qualité de pied
e-learning – Instabilités de la cheville et prévention des entorses | Cliquez sur l’image

Un pied fonctionnel assure une jonction efficace avec le sol et optimise la prise d’appui, il s’accompagne d’un meilleur maintien de la « cheville » et participe ainsi à la prévention des entorses. De plus, il augmente la marge de manœuvre en cas de déséquilibre et permet de développer un appui plus dynamique.




Routine
  • Exercices à réaliser pieds nus sur une surface souple et de préférence face à un miroir. Retrouver les différents exercices en vidéo dans la Playlist Youtube intitulée ‘’Corriger le pied (nouvelle édition)’’ via adresse (http://bit.ly/Tuto-Corrigerpied )
  • Séquence à réaliser 3 jours sur 7.
  • Déroulement de la séquence (à répéter 3 fois en fonction de ses capacités):
  1. Marche sur place 30’’ à une cadence de 150ppm (Pas par minute) (vidéo Qr.11)
  2. Course sur place 20’’ à une cadence de 180ppm. Dans l’exercice de marche et de course sur place, veiller à laisser redescendre le talon jusqu’à ce qu’il vienne effleurer le sol. (vidéo Qr.11)
  3. Assouplissement du pied ‘’Samba en avançant’’, 5 répétitions par jambe. Limiter la rotation interne de hanche à 10° maximum. (vidéo Qr.8)
  4. Pas chassés 50/50, 10 répétitions (vidéo Qr.13)
  5. Glissé 10 répétitions (vidéo Qr.12)
crédits photos