Syndrome de l’essuie-glace et déficits posturo-dynamiques, le couple maudit

Fred Brigaud – Ultramag

Le syndrome de l’essuie-glace se traduit par l’apparition d’une douleur au niveau de la bandelette ilio-tibiale (Tenseur du Fascia Lata), compartiment externe du genou. Un syndrome qui ne concerne pas seulement le coureur à pied mais qui touche de nombreuses disciplines sportives comme nous l’évoquerons. On impute généralement l’apparition de ce syndrome à une augmentation trop rapide du volume d’entrainement, à l’utilisation de chaussures inadaptées ou usagées,… ou encore à un changement de type de terrain. Un syndrome aux causes multiples, dont les déficits posturo-dynamiques, que nous proposons d’analyser ici.

Une question de tension

En position debout  l’intensité avec laquelle les tensions parcourent la jambe, et notamment la bandelette ilio-tibiale, varie en fonction de la posture que l’on adopte ; plus précisément en fonction de l’orientation des différents segments[1] qui composent la jambe en appui, tant en statique qu’en dynamique. Phénomène qui provient d’un défaut technique[2] de prise et de conduite d’appui, et d’une absence de neutralité du pied et de la jambe qui se sont automatisés.

Afin de sensibiliser davantage le sportif à cette problématique, nous vous proposons un test simple et facilement reproductible (fig.1 Test du pied éversé, variante du test du genou en X), déjà présenté dans de précédents articles[3] et au sein des compléments à l’ouvrage ‘’Corriger le pied sans semelle’’. Ce test donne les moyens de ressentir le fait qu’un défaut d’orientation du pied accroit mécaniquement la tension qui parcourt cette zone, et ce d’autant plus fortement dès que l’orientation de la jambe en appui varie. Un phénomène que l’on retrouve dans de nombreuses situations que cela soit dans la marche, la course, la pratique du tennis, du football,… ou encore du ski alpin.

Percevoir les tensions qui nous parcourent

Nous vous proposons donc de ressentir l’influence d’un défaut d’orientation du pied par rapport à la jambe sur l’évolution de l’intensité de la tension qui parcourt la bandelette ilio-tibiale et le membre inférieur.

  1. Tracez au sol deux lignes parallèles écartées de vingt centimètres.
  2. Posez un pied sur chaque ligne en prenant soin de placer le milieu du talon et le milieu de l’avant-pied sur la ligne pour mieux ressentir l’impact d’un défaut d’orientation.
  3. Jambes légèrement fléchies, les genoux déverrouillés, soulevez l’avant-pied du pied droit afin de vous retrouver en appui talon et produisez un mouvement d’éversion du pied maximal (orientez le pied vers l’extérieur par rapport à la jambe). Attention le mouvement ne doit s’effectuer qu’au niveau de l’articulation sous-talienne. Si le genou s’oriente vers l’extérieur c’est que vous avez mobilisé la hanche, dans ce cas revenez à l’étape n°2.
  4. Replacez l’avant-pied droit sur la ligne en effectuant cette fois-ci une rotation interne de hanche tout en maintenant l’éversion du pied. Votre pied présente un défaut d’orientation par rapport à la jambe apparenté à un pied pronateur.
  5. Les deux pieds sont de nouveau parallèles mais les jambes s’orchestrent différemment ; le genou droit s’oriente vers l’intérieur.
  6. Ainsi positionné, effectuez quelques mouvements de flexion/extension des jambes ce qui devraient mettre en exergue le phénomène de rentrée du genou droit à chaque mouvement de flexion.
  7. Replacez le genou droit dans l’axe tout en gardant les pieds au sol et parallèles. Pour cela vous effectuerez une rotation externe de la hanche droite.
  8. Focalisez votre attention sur l’évolution des tensions au sein du genou droit et comparez-les avec celles du genou gauche. Effectuez quelques mouvements de flexion/extension des jambes, tout en gardant le genou droit dans l’axe, et percevez la différence de tension entre le genou droit et gauche au sein de la bandelette ilio-tibiale et de l’articulation du genou.

Fig.1 Test du pied éversé, variante du test du genou en X

Lors de ce test des tensions apparaissent au sein du genou droit et le mouvement d’ouverture en appui est limité comparativement à la jambe gauche. Les muscles abducteurs et rotateurs externes de la hanche droite sont davantage sous tension pour maintenir le positionnement du genou. Des tensions musculaires asymétriques qui altèrent l’équilibre du bassin et de la colonne vertébrale. Il est également intéressant de mettre en exergue le fait que l’articulation du genou est en souffrance alors qu’elle n’est pas à l’origine du phénomène. Un aspect non négligeable qui permet de mieux appréhender l’intérêt d’une approche globale du corps et de son fonctionnement. Alors ne soyons pas surpris si pour une douleur de hanche on en vient à corriger le pied !

Retenons qu’un défaut d’orientation du pied diminue la marge de manœuvre et amène certaines articulations à fonctionner à la limite de leur physiologie, mettant davantage en tension l’architecture. Un défaut qui impacte également l’équilibre et la stabilité du corps dans son ensemble comme vous pourrez le constater en vous reportant aux articles cités. Notez par ailleurs que pour soulager l’articulation du genou il suffit dans ce cas de corriger le défaut d’orientation du pied. Une correction qui finalement se résume à un travail technique pour agir sur l’orientation des segments lors de la marche ou de la course par exemple.

L’élément d’un ensemble

Les défauts posturo-dynamiques sont l’élément d’un ensemble dont l’incidence peut être plus ou moins importante. Une complexité rarement perçue par le sportif qui a tendance à rester figé dans le ‘’une cause/un effet’’ si confortable intellectuellement mais rarement efficace comme le suggère Henri Laborit dans ce court extrait sur la méthodologie expérimentale[4].« L’expérimentation a pour méthode essentiellement d’observer un niveau d’organisation… Le physiologiste isole un segment d’organe ou un organe pour en étudier le comportement ou focalise son attention sur un système, cardio-vasculaire ou nerveux par exemple, dont il étudie un critère d’activité privilégié… Il faut regretter que le clinicien lui-même n’agisse généralement pas autrement en soignant « un cœur », « un estomac », « un foie », etc. ce qui consiste à l’isoler du contexte familial et socioculturel où vit l’organisme auquel il appartient. Cette attitude, rentable expérimentalement, est évidemment une cause de l’inefficacité fréquente des thérapeutiques s’adressant à la seule lésion organique… ». Retenons que pour un même geste, la localisation, la circulation et l’intensité des tensions varient selon que la personne présente ou non des défauts posturo-dynamiques. Défauts qui figurent parmi les facteurs déclenchant ou aggravant du syndrome de l’essuie-glace.

Neutraliser, équilibrer et mettre en adéquation

Nous constatons par ailleurs que les déficits de maintien s’exacerbent avec la fatigue, lorsque l’intensité de l’effort augmente,… ou encore lorsque la difficulté technique du terrain s’accroît. Il suffit pour mettre en évidence ce phénomène de demander à une personne d’effectuer une série de bonds, départ deux pieds, réception deux pieds successivement à 1m, 1m50, 2m, 2m50, etc. pour constater à partir d’une certaine distance l’apparition de déficits posturo-dynamiques (fig.2). Des déficits qui s’exacerbent au fur et à mesure que la distance à franchir augmente. Nous pouvons en déduire que deux systèmes jouent de concert, un système musculaire propulseur qui permet de bondir et parallèlement un système musculaire stabilisateur qui permet de maintenir l’empilement des articulations (EAD). Dès lors il serait utile d’amener le sportif à développer un système musculaire propulseur et stabilisateur équilibré et adapté à l’activité qu’il pratique, sans oublier au préalable de neutraliser les défauts de posture avec lesquels il se présente. Un travail technique qui allie postures et mouvements (posturo-dynamique), et qui permet de répartir/réguler davantage la circulation des tensions au sein du corps tout en augmentant la marge de manœuvre, développant ainsi le potentiel du sportif dans un souci d’efficacité et de préservation du corps.

Fig.2 Défauts posturo-dynamiques lors de bondissements deux pieds/deux pieds durant la phase de poussée ou de réception

La nécessité d’une approche plurifactorielle du syndrome

Face à l’apparition d’un syndrome de l’essuie-glace nous devons avoir conscience de sa complexité ; par conséquent  il est impératif de prendre en compte, dans le cadre de la course à pied par exemple, du planning d’entrainement, de l’intensité et de la durée de l’effort, du type de terrain sur lequel la personne court (niveau technique du terrain, présence de dévers, largeur du sentier,…), du niveau d’entrainement et de la technique du coureur, de ses habilités, du matériel employé (type de chaussures,…), de la présence ou non de défauts posturo-dynamiques et techniques,… ainsi que de l’évolution de sa gestuelle et de sa posture en fonction du niveau de fatigue et de la technicité du terrain. Au regard de ces éléments, nous comprenons aisément que le thérapeute et l’entraineur ne peuvent totalement maitriser et englober l’ensemble de ces paramètres mais en avoir seulement une vision parcellaire. C’est pourquoi il nous semble intéressant de tendre vers un transfert de connaissances et de compétences vers le coureur afin de lui permettre d’employer et de gérer plus efficacement son organisme dans sa discipline sportive. Le sportif vient ainsi se former afin d’être plus à même d’interagir avec le thérapeute, l’entraineur ou le préparateur physique. Une approche qui lui permet de gagner en subtilité et d’être davantage responsable de son devenir corporel. Il n’est pas inutile dans ce cadre de rappeler que sans notion de choc/traumatisme direct nous sommes responsables de nos propres maux.

Que retenir
  • Augmenter ses connaissances et ses compétences.
  • Elargir et faire évoluer sa compréhension et sa conceptualisation du fonctionnement du corps.
  • Déceler et neutraliser les déficits posturo-dynamiques.
  • Développer un système stabilisateur en adéquation avec ses activités sportives.
  • Une telle pathologie n’est pas le fruit du hasard mais la combinaison de plusieurs facteurs.
  • Nous sommes responsables de nos propres maux.
  • Dans la pratique de la course à pied, passer à une prise d’appui avant-pied pour bénéficier à chaque foulée de la marge de manœuvre supplémentaire que nous octroie le mécanisme de torsion (IAT*) au sein du pied. *Interligne Articulaire de Torsion.
Pour aller plus loin

Textes & dessins © Frédéric Brigaud


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[1] En fonction de son degré d’EAD (Empilement Articulaire Dynamique),

[2] En l’absence de malformations, déformations traumatiques ou congénitales ainsi qu’en l’absence d’atteintes neurologiques, musculaires ou encore de maladies, d’affections et de lésions… qui altèreraient le fonctionnement et la biomécanique du corps. On ne parle ici que des défauts de statique, de posture et de maintien qui sont réversibles.

[3] Cf. Pour aller plus loin

[4] La nouvelle grille, 1974, Henri Laborit