Par Frédéric Brigaud.
Ultramag – Mai/Juin 2014
En montagne ou dans les escaliers, la marche domine la course. A moins d’être un super crack, il vous faudra donc apprendre les techniques les plus efficaces pour grimper sans vous fatiguer. La technique de pose avant-pied préconisée pour la course à pied va vous être d’un grand secours dans cet apprentissage.
Tant que l’on n’a pas assisté à un ultra-trail ou couru soi-même ce genre d’épreuve, on pourrait croire que la majorité des ultratrailers courent en permanence tout au long du parcours, un peu à l’image des chevaux galopant sans arrêt dans les Westerns alors qu’ils ne peuvent tenir cette allure que sur de courtes distances. Mais à votre avis, combien de temps passe un coureur à marcher lors d’un ultra-trail ? Entre 40 et 55% du parcours en fonction de la distance. Pour certains le pourcentage dépasse même les 55%, alors que d’autres il est quasi nul – mais ils ne sont pas nombreux dans ce cas… Même si le pourcentage fluctue d’un coureur à l’autre, les raisons restent essentiellement les mêmes si on exclut les blessures. Il suffit de leur demander pour s’en rendre compte. Et voilà ce qu’ils vous répondront : « La part de marche augmente après 50 km de course. Sur la CCC©* (environ 101 km et 6100 m de dénivelé positif) je marche approximativement 40% du temps, dès que les montées ont un fort pourcentage ou quand elles sont longues. Sur le Trail des Aiguilles Rouges* (50 km pour 4000 m de dénivelé positif) je cours 50% du temps. Sur la Sierre Zinal* (32 km et 2200 m de dénivelé positif) je cours 70% du temps. Plus la course est longue, plus vite je passe à la marche, à l’inverse plus elle est courte et plus je me force à courir même dans les « montées raides ». Dans les trails inférieurs ou égaux à 30 km : on essaie de courir partout, même en montée (en pente douce) » explique le manager d’un Team. « Entre 30 et 80 km : on court essentiellement sur le plat et en descente, les montées se font en marche rapide. Lors des ultra-trails, on court sur le plat, on cherche à maintenir un rythme régulier plutôt lent, idem dans les descentes et on marche dans les montées. Au-delà de 80 km et plus les kilomètres passent, on marche également de temps en temps sur le plat et en descente afin de se préserver ou tout simplement à cause de la fatigue. » « Globalement 40% de marche pour 60% de course. Je marche également lorsque le rendement semble le même que celui qui trottine sans pour autant aller plus vite que moi » relate ce coureur d’ultra-trail, également accompagnateur en moyenne montagne.
LE COUP DE L’ESCALIER
Dès lors, face à ce constat, nous pouvons nous demander si le trailer est musculairement adapté à la marche en montagne…Faut-il mettre en place un entraînement spécifique ? Comment optimiser les phases de marche lors des trails ? Nous pourrions donc résumer le problème ainsi : comment devenir un bon marcheur à défaut de ne pouvoir courir en permanence ? Vous ne trouvez pas ? La réponse est pourtant simple : en courant bien sûr ! En courant d’accord, mais avec quelle technique de prise d’appui ? Nous pourrions avoir le raisonnement suivant, mais très arbitraire, « Dans la marche je pose le talon en premier donc si je cours avec une prise d’appui talon je marcherai forcément mieux. » Un tel raccourci est-il recevable ? Non. Rappelons que le trailer marche essentiellement en montée. N’y a-t-il pas dans notre quotidien un lieu qui pourrait s’apparenter à une montée un peu raide ? Les escaliers bien sûr ! Vous voilà donc au pied de l’escalier. Plusieurs stratégies s’offrent à vous : attaquer les marches par le talon, par l’avant-pied ou poser le pied à plat. Montez quelques marches en adoptant successivement ces différentes techniques. Vous devriez vous rendre compte assez rapidement que la technique la plus dynamique et la plus efficace, qui assure donc un rendement optimal, est celle qui consiste à monter les escaliers avec une prise d’appui avant-pied. Grâce à quoi ? Grâce aux mollets ! Quelle que soit la technique que vous emploierez en montée (déroulement du pas), à moins que vous ne soyez masochiste, vous finirez par une extension combinée de la cheville, du genou et de la hanche. Cela tombe bien car le mollet est extenseur de la cheville et du genou il vous fera donc monter plus rapidement.
TOUT DANS LES MOLLETS
Pour résumer, il y a d’un côté la technique de prise d’appui (talon, pied à plat, avant-pied) et de l’autre, quelle que soit la technique employée, les mollets. Sans eux les cuisses vont rapidement « chauffer »… Si vous souhaitez être rapide en montée il faut combiner une prise d’appui avant-pied et des mollets puissants et endurants. Il n’y a pas 36000 façons de développer des mollets puissants et endurants. Vous pourriez bien sûr vous rendre dans une salle de musculation, travailler spécifiquement ce groupe musculaire et le développer en un peu plus d’un mois. Cependant un geste ne se résume pas à l’action d’un seul muscle. Dans la marche et la course, à chaque pas, la tension se répartit et s’équilibre au sein de l’ensemble du système musculo-squelettique mis en jeu, des pieds à la tête. Développer volontairement et isolément un muscle, notamment les mollets, en occultant le reste de la jambe produit un déséquilibre musculaire qui modifie la répartition de la pression/tension au sein des différentes chaînes musculaires et articulaires, que ce soit localement mais également à distance… Gare aux ménisques et aux tendons. Il est donc préférable de passer progressivement à une prise d’appui avant-pied dans la course à pied en sachant que, comme nous l’avons évoqué dans de précédents articles, cela nécessite un temps d’adaptation…
Alors que faire ? C’est un rude combat qui se joue au niveau du mental et que l’on peut résumer finalement à : « Je veux des gros mollets tout de suite mais isolés du reste du corps, ou je permets justement à mon corps d’intégrer leur développement ? » Par ailleurs, pour vous rendre compte brièvement de la différence entre des muscles développés en salle de musculation et des muscles qui se développent en changeant de technique de course, demandez à un de vos amis qui pratique essentiellement la musculation de se mettre à courir sur place en balançant les bras, vous devriez alors voir renaître sous vos yeux Robocop. C’est-à-dire une absence de coordination et de synchronisation, l’expression même de muscles développés indépendamment les uns des autres. Mais pourquoi donc choisir la course avec une prise d’appui avant-pied ? Tout simplement parce que la course à pied avec une prise d’appui talon ne développe pas les mollets alors que la prise d’appui avant-pied oui. (cf. précédents articles).
VAINCRE LA GRAVITÉ EN FLUIDITÉ
Reprenons nos tests dans les escaliers pour aborder quelques aspects un peu plus techniques. Centre de gravité. Debout, les genoux légèrement déverrouillés (fléchis), talons au sol, avec une pression davantage localisée au niveau des talons. Décollez progressivement et légèrement les talons jusqu’à être en appui avant-pied, et concentrez-vous sur l’évolution de l’inclinaison de votre corps par rapport au sol durant cet exercice. Vous ressentez votre corps basculer vers l’avant dans son ensemble, passant ainsi d’une position verticale à une position légèrement inclinée. Vos épaules viennent se placer à l’aplomb de vos avant-pieds. La prise d’appui avant-pied et le maintien des talons légèrement décollés à chaque montée de marche positionnent le centre de gravité dans le quadrant antérieur du polygone de sustentation (page précédente). À l’inverse, la prise d’appui talon nécessite à chaque pas un temps de bascule autour de l’appui afin d’amener le centre de gravité d’une position postérieure à une position antérieure. Percevez ce temps mort durant lequel vous devez déplacer votre centre de gravité vers l’avant, un temps énergivore.
Relance contre élasticité. Montez maintenant l’escalier en marche rapide sans passer pour autant au stade de la course, une première montée avec une prise d’appui talon et une seconde montée avec une prise d’appui avant-pied. Vous devriez percevoir que la montée avec une prise d’appui talon est pesante, énergivore, avec un travail plus important des cuisses (quadriceps), et que pour accélérer ou maintenir une marche rapide vous devez casser le buste en avant afin d’amener votre centre de gravité en avant. À l’inverse, avec une prise d’appui avant-pied, le mouvement est facilité, plus élastique, ne nécessitant pas de relance, le corps est incliné dans son ensemble vers l’avant, facilitant comme nous l’avons signalé précédemment un déplacement en avant. Par conséquent, des deux techniques, la prise d’appui avant-pied est à privilégier pour monter les escaliers. Mais encore faut-il avoir la capacité physique et technique de produire cette gestuelle.
MARCHEZ, COUREZ, BREF AVANCEZ !
Une pratique régulière de la course avec une prise d’appui avant-pied maitrisée sur du plat peut nous assurer un développement efficient des mollets. Cette technique de course prédispose (j’insiste sur cette notion de prédisposition car la marche est un geste technique qu’il est également nécessaire de comprendre et de travailler) à une marche plus efficace en montée en développant progressivement un corps globalement adapté à cette technique et plus à même de maintenir dans la durée la posture associée. Il n’est pas inutile de rappeler que la course avant-pied façonne différemment le corps et pas seulement les mollets. C’est cette adaptation globale du corps, son homogénéisation, qui nous donne les moyens de développer un rendement optimal. Par ailleurs, lorsque l’on compare la gestuelle mise en oeuvre en montée dans la marche (avant-pied) et dans la course avant-pied, on observe qu’en dehors de la fréquence, de l’enchaînement des appuis, et de l’amplitude des mouvements, l’orientation du corps (l’axe de travail) par rapport aux appuis et la gestuelle sont semblables. Cette posture, quelle que soit l’allure, nécessite des mollets puissants et endurants. La pratique de la course à pied avec une prise d’appui avant-pied fera des ultra-traileurs de bons marcheurs en montagne.
1 Propos recueillis notamment auprès de Jérémy Buache (AMM), Jérôme Bernard (Manager Team Vibram), Lionel Chatelard (AMM) et Sébastien Nain (Team Vibram)
QUE NOUS APPREND CET ARTICLE ?
- Les mollets sont essentiels pour courir et marcher en montagne.
- La course à pied avec une prise d’appui avant-pied fait de nous de bons marcheurs.
- L’escalier, mon meilleur ami au quotidien…
SURFACE D’APPUI
PRISE D’APPUI AVANT-PIED, PIED DROIT VU DE DESSOUS
Le déroulement de l’appui s’effectue dans un premier temps de l’avant vers l’arrière puis inversement lors de la phase de propulsion. Comme vous pouvez le remarquer ici le talon vient effleurer le sol. Ce paramètre évolue en fonction du rendu technique recherché et pourra être plus ou moins prononcé. Cependant lors de l’apprentissage de cette technique de prise d’appui, afin d’alléger les contraintes, il est conseillé de venir effleurer le sol avec le talon, ce qui est très différent de poser le talon.
ÉQUILIBRE
POLYGONE DE SUSTENTATION
Pour ressentir, délimiter et comprendre le polygone de sustentation, rien de plus simple. Debout les pieds joints, inclinez votre corps dans son ensemble vers l’avant et arrêtez-vous avant de perdre l’équilibre, puis faites de même vers l’arrière. En oscillant ainsi d’avant en arrière vous déplacez votre centre de gravité par rapport à vos appuis et découvrez les limites de votre polygone de sustentation au-delà desquelles vous perdez l’équilibre. Si par mégarde vous franchissez ces limites il vous faudra faire un pas en avant ou en arrière pour replacer votre centre de gravité au sein de ce polygone et ne pas chuter. Ceci est valable également latéralement. C’est votre marge de manœuvre en appui.
Pour aller plus loin :
- Tester et passer à une foulée avant-pied !
Plan d’entrainement simplifié
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