Minimalisme, barefoot, posture et course à pied

Barefoot runner n°3 – Juin 2014
Interview de Frédéric Brigaud réalisé par Rodolphe Bier Rodolphe Bier Coach professionnel d’Athétisme Journaliste pour le magazine Jogging International

S’affranchir de toute forme d’amorti ?

Aujourd’hui avec la mode du minimalisme, courir pieds nus et s’affranchir de toute forme d’amorti pour adopter une foulée plus efficace avec une pose avant-pied est présentée comme une solution miracle. Toutefois quelle est la durée minimum pour une adaptation durable et respectueuse de la biomécanique de chacun ?

C’est une vaste question qui requière une réflexion systémique. Quelques lignes ne seront pas suffisantes pour y répondre. Cependant, il me semble important de prime abord de resituer l’Homme dans son contexte et face à ses origines ; avoir conscience qu’il est soumis aux contraintes physiques liées à notre planète, qu’il est dépendant de son architecture et de son « entraînabilité » (capacité d’adaptation du corps face à l’entrainement). Il faut garder en tête que nous sommes, comme tous les êtres vivants sur terre, des mutants ; en ce sens que notre patrimoine génétique se modifie de façon « aléatoire » à chaque génération. Ce qui est imperceptible à l’échelle de la vie humaine ne l’est plus lorsque l’on compte en million d’années. L’Afarensis, un lointain parent, semblet-il, n’avait pas notre architecture et par conséquent pas la même biomécanique. De la même façon, regarder nos cousins les singes, s’ils sont bipèdes par moment, ils ne peuvent se déplacer à notre image car leur anatomie diffère de la nôtre générant une biomécanique spécifique (ou particulière). Nous sommes le fruit d’une lente évolution architecturale, je préfère dire le fruit de nombreuses mutations car depuis des millions d’années, chaque génération est soumise irrémédiablement aux contraintes du milieu naturel ; les plus adaptés survivent alors que les autres disparaissent. Ce sont ces mécanismes, énoncés succinctement, qui font de nous aujourd’hui ce que nous sommes, des êtres plus ou moins adaptés à la bipédie, à la marche, à la course.

Il n’y a aucun déterminisme dans notre évolution, pas d’orientation, mais une complexification progressive de notre organisme au gré des mutations et d’une sélection naturelle du plus apte à survivre, même si ce modèle opère différemment aujourd’hui depuis que l’homme pense. Ceci pour dire que la forme des pièces osseuses et des articulations qui composent notre corps détermine un certain mode de fonctionnement qu’il serait important de comprendre, de connaitre et d’apprendre à respecter. La forme de notre corps et notre « entraînabilité » déterminent son mode de fonctionnement. Là se situe réellement la question du minimalisme mais également plus généralement de la pratique sportive. Notre corps présente des limites mécaniques liées à son architecture et aux éléments qui le constituent mais, dans ce cadre, il dispose d’une capacité d’adaptation face à l’entrainement ; il peut devenir plus puissant, plus fort et son architecture se densifier, être plus résistant, dans une certaine mesure.

Adaptés ?

Sommes-nous architecturalement adaptés à une prise d’appui avant-pied ? Oui. Est-ce que cela modifie la gestion de la force de réaction au sol ? Oui, car d’autres muscles entrent en action et les contraintes se répartissent différemment. Pouvons-nous passer d’une prise d’appui talon à une prise d’appui avant-pied du jour au lendemain ? Non. Pour répondre directement à la question telle qu’elle est posée, pour ceux qui passent d’une prise d’appui talon à une prise d’appui avant-pied il faut compter trois ans minimum pour les adultes. Certains penseront le faire en moins de temps mais sans forcément percevoir que l’ensemble de leur corps s’adapte, pas seulement les mollets et les pieds. En changeant de technique vous changez la localisation et l’orientation des contraintes ce qui a pour conséquence de solliciter des zones qui ne sont pas forcément encore adaptées à celles-ci.

Pour comprendre le principe d’adaptation face à l’entraînement, il suffit de faire le parallèle avec l’immobilisation d’une jambe consécutive à une fracture. On assiste alors à une fonte musculaire et une perte de matière osseuse en raison de l’absence de sollicitation. Dès lors, pour retrouver un membre fonctionnel, une période de rééducation/réentrainement sera nécessaire pour retrouver une masse musculaire et une densité osseuse proches de celles précédant la fracture. Votre passé sportif, les autres activités physiques et sportives que vous pratiquez façonnent votre corps (répartition des masses musculaires, puissance, force, densité osseuse,…), et interviennent également dans le processus d’acquisition. La course à pied avec une prise d’appui avant-pied (tête des métatarsiens), nommée à tort d’un point de vue anatomique médio-pied, doit être considérée comme une nouvelle discipline sportive, nécessitant un temps d’adaptation. Comme je le dis régulièrement, si vous débutiez la course à pied, commenceriez-vous par un marathon ? Pour approfondir vos connaissances sur les principes d’évolution je vous suggère de lire Charles Darwin, Jacques Monot, Stephen Jay Gould…

Privilégier la part technique du geste

Pour toi l’adaptation de la posture en course doit elle venir avant la mise en place de séances très contraignantes comme les séances de type V.M.A ?

La posture, la capacité de maintien du corps dans le mouvement devrait, me semble-t-il, être un référentiel à l’image du cardiofréquence mètre qui limite par exemple notre vitesse lors d’une séance. Les défauts de posture n’empêchent pas de se déplacer d’un point A à un point B mais sont à l’origine de mouvements compensatoires ; dépenses énergétiques supplémentaires et hyper sollicitation de certaines zones du corps qui se répètent à chaque foulée. Plus les contraintes sont élevées plus notre architecture est sollicitée, sachant que le système musculaire stabilisateur (muscles qui maintiennent notre posture) n’est pas forcément en adéquation avec le système musculaire locomoteur (muscles qui permettent d’avancer) voire même rarement.

Dès lors, ce n’est pas parce que vous êtes capable de courir vite ou de supporter physiologiquement de forte charge de travail que vous êtes efficient biomécaniquement, que vous produisez une posture adaptée. Le pire c’est que d’un point de vue chronométrique il est possible de progresser tout en ayant une posture de course déplorable. Combien de sportifs répondent alors trop rapidement « mais je gagne ainsi ! » en se focalisant uniquement sur le résultat sans en percevoir les tenants et les aboutissants. La course est plurifactorielle et le résultat n’est qu’une conséquence pas un objectif. Le résultat n’est que la somme de tous les paramètres vous permettant de vous déplacer. Pour faire simple gardez en tête que la fatigue, le surentrainement, l’augmentation des contraintes… sont des facteurs favorisant l’altération de la posture. Dans ce cadre cela nécessite davantage de vigilance de la part du coureur.

D’autre part, la gestuelle que vous déployez aujourd’hui n’est que l’expression de vos automatismes et dépend de votre quotidien, de vos différentes pratiques sportives,… et de vos traumatismes, un ensemble d’éléments qui modifie progressivement et imperceptiblement votre posture. Dans l’absolu, il faudrait donc effectivement effectuer un travail postural en amont de la mise en place de séances très contraignantes, mais il faudrait également que les séances contraignantes soient limitées par la qualité de la posture mise en place. Le tout est de savoir comment cela fonctionne et les conséquences de tel ou tel comportement. Pour conclure j’ajouterai que la posture ne s’optimise pas par enchantement ou à l’aide d’un accessoire magique, mais nécessite un travail spécifique.

Pallier nos erreurs avec de l’amorti ?

Serais-tu d’accord pour dire qu’une chaussure avec un bon amorti reste nécessaire lorsque l’on réalise un kilométrage hebdomadaire important et ce en parallèle avec un travail sur la foulée ?

Il n’est pas évident de répondre à cette question car de nombreux paramètres entrent en jeu. Cependant, une notion intéressante ressort de cette question, celle de « nécessité ». Pourquoi cela devrait-il être nécessaire ? Cela sous-entend peut-être le fait qu’il y a un risque à ne pas utiliser d’amorti. Cela sous-entend également peut-être que le geste n’est pas encore suffisamment précis, adapté et que l’amorti de la chaussure nous donnerait une marge de manœuvre plus importante qui « compenserait » en quelque sorte nos erreurs techniques. Mais qu’en est-il des conséquences à plus ou moins long terme ? N’allons-nous pas juste changer la localisation des « impacts mécaniques » consécutifs à ces défauts techniques ? On protège davantage le pied mais qu’en est-il des autres pièces osseuses et des autres articulations… Ce qu’il est possible de dire c’est que la course minimaliste et, à l’extrême, le barefoot est une technique de prise d’appui qui nécessite d’être responsable car cette prise d’appui ne permet pas d’erreur quant à la gestion de la force de réaction au sol. D’autre part, une personne ayant une prise d’appui talon qui achète des chaussures minimalistes sans changer sa technique de prise d’appui impactera davantage son organisme. Le changement de chaussures ne garantit pas le changement de technique de prise d’appui. On en revient alors à la première question et au temps d’adaptation du corps nécessaire pour ce nouveau geste technique.
Casablanca Octobre 2013

Pour aller plus loin
e-learning – Instabilités de la cheville, approche fonctionnelle
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