La course thérapeutique du Ligament Croisé Antérieur (LCA)

Quel lien peut-il bien exister entre une technique de course à pied et les ruptures du ligament croisé antérieur en ski alpin ?

Magazine de l’Entraineur du ski Alpin, n°128, Hiver 2024, Frédéric Brigaud

Selon le type de foulée que nous adoptons, en attaquant le sol par le talon ou par l’avant-pied (arche antérieure), nous n’employons pas le corps de la même façon et par conséquence nous ne le construisons pas de la même manière. Deux techniques de course, deux corps différents ! Pour ceux qui se sont essayés à la foulée avant-pied, encore nommée foulée minimaliste, naturelle, ou médio-pied, ils ont pu constater que les mollets étaient fortement sollicités. Rien d’étonnant puisque le bras de levier employé pour amortir la force de réaction au sol[1] à chaque foulée est différent, tout comme le ‘’déroulé’’ du pied au sol. Lors d’une attaque talon, le pied ‘’déroule’’ depuis le talon jusqu’à l’arche antérieure pour terminer par les orteils. La zone en appui change et se déplace vers l’avant. Le pied prend contact par le talon (bord postéroinférieur), pivote vers l’avant autour de celui-ci, se pose à plat, puis pivote toujours vers l’avant autour de l’arche antérieure, tel un cube roulant sur le sol. Tandis que, lors d’une attaque avant-pied, il n’y a pas de ‘’déroulé’’ du pied à proprement parlé. L’arche antérieure se pose en premier, le pied pivote vers l’arrière autour de celle-ci jusqu’à ce que le talon effleure le sol (phase d’amortissement), puis le pied pivote vers l’avant (phase de propulsion) avant que l’arche antérieure ne quitte le sol suivi par les orteils. La zone en contact avec le sol est identique durant toute la phase d’appui. Quitte à se répéter, le pied ne fait que pivoter autour de l’arche antérieure. Seule l’étendue du contact varie selon que le talon s’abaisse ou se soulève.

La biomécanique est différente (fig.1 et 2) et les contraintes se répartissent différemment dans le corps. Si lors d’une attaque talon l’avant-pied est soumis seulement à 75%[2] de la force de réaction au sol, il est soumis à 100% de la force de réaction au sol lors d’une foulée avant-pied, soit 25% de contraintes supplémentaires. Les pieds et les mollets vont être davantage sollicités. Par conséquence le passage d’une attaque talon à une foulée avant-pied nécessite un temps d’adaptation pour que le corps se renforce. Une transition qui dure plusieurs mois ou années selon les individus et leur implication. Le pied (os, ligaments, muscles) et les mollets vont se renforcer. Pour rappel, le mollet, appelé également triceps, se compose des muscles jumeaux (gastrocnémien latéral et médial) et du muscle soléaire. Les jumeaux s’insèrent sur le fémur juste au-dessus du genou, tandis que le soléaire s’insère en-dessous (fig.1).

Fig.1

L’importance du soléaire

Lorsque nous regardons la jambe de profil au niveau du genou, et plus précisément les insertions musculaires, nous remarquons que l’insertion proximale du soléaire est située au même niveau que l’insertion distale du tendon rotulien. Ainsi, debout, les pieds presque joints, les genoux déverrouillés, dès que nous décollons, ne serait-ce que légèrement, les talons du sol pour venir en appui sur l’arche antérieure, les mollets se contractent ainsi que les quadriceps. Il se forme alors une chaîne musculaire (fig.1 et 2), c’est-à-dire une succession de muscles, qui nous maintient érigé. Cette chaîne musculaire se nomme chaîne musculaire d’extension et se compose, en simplifiant, du mollet, des muscles quadriceps et grand fessier. Le tibia se trouve tracté vers l’avant (tendance à produire un tiroir antérieur, glissement vers l’avant du plateau tibial par rapport aux condyles fémoraux) par la contraction du quadriceps, et vers l’arrière (tendance à produire un tiroir postérieur) par la contraction du mollet et plus spécifiquement du soléaire. Ces deux tensions opposées s’équilibrent et assurent la stabilité antéro-postérieure du genou. On évoque davantage le renforcement des ischio-jambiers pour contrecarrer le tiroir antérieur généré par la contraction du quadriceps et peu souvent le soléaire.

Fig.2

Pourtant, une étude intitulée ‘’Contributions of the Soleus and Gastrocnemius muscles to the anterior cruciate ligament loading during single-leg landing’’[3], réalisée en 2013 a mis en évidence ce phénomène biomécanique :‘’…the posterior force of Soleus reached 28–32% of Ham’s posterior force for both landing heights at peak GRF while the posterior force of Gastrocs on femur was negligible. ACL injury risk during single-leg landing is not only dependent on knee musculature but also influenced by muscles that do not span the knee joint, such as the Soleus…’’.

Phénomène mécanique relevé dans une autre étude datant de 2003[4], dont les résultats suggéraient déjà que ‘’les muscles du mollet pourraient fonctionner comme stabilisateurs dynamiques du genou’’. Au regard de cela pourquoi ne pas employer la foulée avant-pied pour renforcer les mollets et équilibrer les tensions qui s’exercent sur les genoux ?

C’est la manière qui importe

Lorsque nous adoptons une foulée avant-pied avec une cadence de 180ppm (pas par minute), nous effectuons chaque 10 minutes 1800 pas, soit 900 contractions des mollets par jambe… 2×10 minutes, 3600 pas, soit 1800 contractions des mollets par jambe… 3×10 minutes, 5400 pas soit 2700 contractions… Nous sommes bien au-delà du nombre de répétitions que nous sommes en mesure de produire en salle en isolant la contraction sur une machine de musculation. Ce n’est pas l’allure qui nous intéresse ici, mais la gestuelle en tant que telle, pour les stimulations qu’elle produit et le corps qu’elle façonne. La foulée avant-pied devient alors une sorte de ppg (préparation physique générale) pour renforcer les mollets, et notamment le soléaire. Un muscle davantage développé chez le coureur employant cette foulée comparativement à celui qui attaque talon. De plus, c’est l’ensemble de la chaîne musculaire d’extension qui se contracte à chaque foulée. La contraction des mollets, des ischio-jambiers et du quadriceps se synchronise, ils fonctionnent de concert. Plus que la distance ou l’allure, c’est la manière qui importe. Il ne faut plus voir cela comme de la course à pied, mais comme une gestuelle pour développer et renforcer spécifiquement les jambes. Il suffit d’inclure des séquences de 5 à 10 minutes de foulée avant-pied à très faible allure au cours des séances d’entrainement où ce n’est plus la vitesse ou la distance qui importe, mais la répétition du geste et le nombre de pas par minute. Comme tout geste technique, si nous souhaitons employer efficacement cette foulée et ne pas sursolliciter inutilement les pieds et les mollets, il existe de nombreuses variables à maitriser ; angle d’attaque, descente du talon, poulaine, oscillation verticale, cadence… (fig.3). Puis, une fois le corps adapté à cette foulée, nous pourrons faire varier le niveau de contrainte en jouant sur le degré de pente et l’allure.

Fig.3

Parallèlement à cela, nous pouvons inclure également des séquences de corde à sauter qui, comme la foulée avant-pied, sollicitent les mollets et plus globalement la chaîne musculaire d’extension. Pour finir, si vous vous demandez pourquoi j’évoque le chiffre de 180ppm, bondissez légèrement sur place quelques instants pour vous rendre compte que c’est à une cadence proche de 180 bonds par minute, voire au-delà, que l’on bénéficie pleinement de l’élasticité du système musculosquelettique, et donc qu’il n’est plus nécessaire de relancer le mouvement à chaque fois.

Que retenir

  • Le soléaire participe activement au contrôle du tiroir antérieur.
  • En fonction de la technique de prise d’appui que l’on adopte, talon ou avant-pied, nous construisons le corps différemment.
  • Plus que la distance et l’allure, c’est la manière de courir qui importe et nous construit.
  • 10 minutes de foulée avant-pied correspondent à 900 contractions des mollets par jambe.
  • Noter que marcher avec des chaussures à talon ou mettre une cale sous les talons lorsqu’on effectue des squats n’est en rien équivalent biomécaniquement à un appui avant-pied les talons légèrement décollés.

[1] La force de réaction du sol (GRF) est la force exercée par le sol sur un corps en contact avec lui. Par exemple, une personne debout immobile sur le sol exerce sur elle une force de contact (égale au poids de la personne) et, en même temps, une force de réaction au sol égale et opposée est exercée par le sol sur la personne. https://fr.wikipedia.org

[2] Shorten Mr. The myth of running cushioning. Abstract of a Keynote Lecture given at the IV International conference on the Engineering of Sport; Kyoto Japan, September 2002.

[3] Hossein Mokhtarzadeh, Chen Hua Yeow, James Cho Hong Goh, Denny Oetomo, Fatemeh Malekipour, Peter Vee-Sin Lee, Journal of Biomechanics, Volume 46, Issue 11, 2013, Pages 1913-1920, ISSN 0021-9290, https://doi.org/10.1016/j.jbiomech.2013.04.010.

[4] Soleus and gastrocnemius muscle loading decreases anterior tibial translation in anterior cruciate ligament intact and deficient knees. Sherbondy PS, Queale WS, McFarland EG, Mizuno Y, Cosgarea AJ. Soleus and gastrocnemius muscle loading decreases anterior tibial translation in anterior cruciate ligament intact and deficient knees. J Knee Surg. 2003;16(3):152-158

Pour aller plus loin

Germain Grangier 3ème de l’UTMB revient sur sa foulée gagnante
Germain s’est intéressé à la foulée avant-pied et au gainage du pied [1], de la jambe et du corps en général, alors qu’il entamait sa transition du vélo vers la course à pied. ‘’J’avais une très bonne condition physique en raison de toutes les heures passées à faire du vélo et à m’entrainer. Cela me donnait confiance pour partir dans des défis qui étaient un peu trop élevés pour moi en termes de distance et d’heures passées… »
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Aller encore plus loin

Le Guide de la foulée avant-pied précède et complète  »La course thérapeutique – Une foulée pour tout changer ». Il propose une méthodologie pour acquérir cette foulée et expose les différents points techniques qui nécessitent d’être maîtrisés. Deux livres essentiels pour comprendre les tenants et les aboutissants de cette foulée.

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