Fred Brigaud – Ultramag
Le rêve de tout coureur est de laisser son corps fonctionner seul, de pouvoir savourer le parcours et d’en jouer sans avoir à se concentrer sur la pose de ses pieds pour ne pas chuter. Heureusement cela s’acquière, pour peu que nous nous placions dans des situations qui favorisent l’apprentissage et que nous ayons une certaine conceptualisation de celui-ci.
La lecture du terrain, une habilité peu développée chez les coureurs sur route
Un terrain technique exige une attention particulière pour choisir la localisation des appuis mais également le type d’appui à produire (puissant, léger ou soutenu par exemple). Il demande davantage de concentration, de précision et de subtilité qu’un terrain plat, large et goudronné. Le marathonien, habitué à courir essentiellement sur la route, n’a donc pas à se soucier de ces paramètres de localisation et au type d’appui à produire. Nous pouvons dire qu’il ne possède pas un haut niveau de lecture du terrain. C’est pourquoi il éprouve des difficultés lorsqu’il lui arrive de cheminer sur des sentiers en pleine montagne, comme en témoignage une marathonienne amatrice après l’ascension d’un 4000 et qui court pourtant en moyenne 50km par semaine sur route. ‘’Il faut faire attention à chaque pas à l’endroit où on pose les pieds si on souhaite ne pas glisser. Cela demande beaucoup de concentration et ralentit fortement la progression, sans parler de la fatigue !’’.
Choisir un terrain de jeu adapté
Lorsque nous parcourons un terrain technique que nous ne sommes pas en mesure de gérer efficacement, nous avons tendance à nous raidir et par conséquence à diminuer notre capacité d’amortissement. Nous développons une foulée plus lourde, moins précise, plus instable et subissons le terrain au lieu de le survoler. Les contraintes mécaniques qui s’appliquent alors sur l’appareil musculo-squelettique à chaque foulée (muscles, tendons, os) augmentent en raison d’une gestion moins efficace de la force de réaction au sol. Des contraintes qui, si elles perdurent dans le temps, peuvent être à l’origine de blessures par sur sollicitation. Il est donc nécessaire de prendre en considération le niveau technique qu’implique le terrain sur lequel on se déplace pour limiter le stress mécanique, éviter de chuter, et diminuer le risque d’entorse.
Il n’est pas utile de se mettre en difficulté pour progresser. Nous chercherons au contraire à parcourir des terrains techniques que nous sommes toujours en mesure de maitriser en s’octroyant une marge de manœuvre confortable d’environ 20 à 30%. Certains diront alors qu’il n’est pas possible de progresser dans de telles conditions. Mais ce serait oublier que le niveau de technicité du terrain varie également selon l’allure à laquelle on se déplace, et que la marche fait partie intégrante de cet apprentissage, comme nous allons le voir en retraçant le déroulement d’une séance en bord de mer en compagnie d’un marathonien qui souhaite justement améliorer son aisance.
Gagner en légèreté
Nous nous retrouvons donc à la plage d’Ain Diab de Casablanca à marée basse. Après avoir couru une quinzaine de minutes à son allure moyenne sur le sable humide et dur au bord de l’eau, nous cherchons à alléger les appuis et remontons progressivement vers un sable plus sec. Le pied s’enfonce alors plus facilement et ce d’autant plus si les appuis sont marqués. Plus le sable est meuble plus il nécessite de légèreté lors de la prise d’appui et de la propulsion. Il n’est donc plus possible de taper des pieds sans quoi ils s’enfoncent dans le sable, imposant de relancer le mouvement à chaque foulée, et entrainant une consommation inutile d’énergie.
Un travail technique qu’il est possible de rendre plus ou moins difficile en jouant sur la dureté du sable et en prenant alternativement appui sur les rochers et le sable quand le terrain le permet. Le coureur apprend alors à ajuster la puissance nécessaire à déployer à chaque foulée sans pour autant ralentir son allure, il gagne en subtilité. Une subtilité qui lui permettra d’adapter ses appuis en fonction de la surface sur laquelle il court et de ne pas perdre en adhérence. Si la plage comporte une légère pente, on peut également travailler cet aspect en montée et en descente où la gestion de l’appui requière davantage de finesse.
Parallèlement, il est possible de compléter ce travail dans les escaliers. Dans un premier temps, monter les escaliers en marchant et en tapant des pieds puis, progressivement, chercher à faire de moins en moins de bruit tout en maintenant une allure semblable. Dans un second temps, reproduire cet enchaînement en courant jusqu’à parvenir à monter l’escalier sans taper des pieds. Cet exercice permet d’apprendre à ne pas disperser de l’énergie inutilement. Un exercice qu’il est possible de réaliser pieds nus. L’absence de semelle protectrice sous le pied nous renseigne avec davantage de précision sur la qualité de nos appuis pour peu que l’on y porte une attention suffisante et que l’on respecte ses limites.
Gagner en agilité et en précision
La séance se poursuit et nous quittons le sable pour marcher sur les rochers en appui avant-pied et en adoptant une posture antérieure (le centre de gravité se place au dessus de l’arche antérieure du pied). Nous choisissons un parcours où les rochers présentent des hauteurs et des formes irrégulières. Nous commençons par nous déplacer lentement en s’assurant à chaque pas de la stabilité des appuis puis progressivement augmentons notre allure. Rapidement, le jeu de jambes se délie et la lecture du terrain s’améliore. Après quelques séances il devient possible d’augmenter de façon significative l’allure jusqu’à trottiner.
Il est essentiel de faire prendre conscience au coureur de l’évolution de la qualité de sa gestuelle et que, si celle-ci se dégrade, il doit diminuer l’allure jusqu’à retrouver un niveau de contrôle suffisant, ou quitter ce terrain s’il est devenu trop technique pour lui en raison de la fatigue.
Pallier n’est pas solutionner
Comme nous l’évoquions en début d’article, lorsque le Traileur subit le terrain sa foulée est plus lourde et il tape des pieds. Une foulée plus bruyante et inconfortable qui amènera peut-être le coureur à acheter des chaussures plus épaisses, c’est-à-dire comportant davantage d’amorti pour atténuer cet inconfort. Cependant, cela ne solutionne pas le problème et risque au contraire de l’exacerber en masquant les perceptions provenant des capteurs sensoriels plantaires. Il se tromperait également et se blesserait à coup sûr en pensant que des chaussures fines, souples et sans drop, dites ‘’minimalistes’’ amélioreraient spontanément dans ce contexte sa technique. La solution n’est pas dans le matériel mais en nous. Le coureur doit prendre conscience de ses limites du moment, en comprendre leurs origines, et les accepter s’il souhaite pouvoir mettre en œuvre un travail technique adapté. Si au contraire il reste obnubilé par le temps et la distance et tente de pallier ses lacunes par davantage d’amorti il se voile la face.
Par ailleurs, gardons un esprit critique vis-à-vis des chaussures car la majorité des fabricants s’orientent vers tel ou tel modèle, non pas pour leur valeur éducative, leur respect du fonctionnement du corps, ou pour nous amener à mieux gérer celui-ci mais tout simplement parce qu’ils sont à la mode et se vendent… il n’y a rien de philanthropique. Ce n’est donc pas parce qu’un modèle est plébiscité par une majorité de coureurs qu’il est adapté. Ainsi dans ce contexte, si on ‘’tape des pieds’’, plutôt que de s’acheter une paire comportant davantage d’amorti, mieux vaut travailler sa technique et revoir ses objectifs !
L’amorti détermine-t-il le niveau du Traileur ?
Pour tenter de faire évoluer la vision des choses et changer de paradigme, nous pourrions dire qu’à temps et distance égale l’épaisseur de la chaussure détermine le niveau technique du coureur. Plus il est en mesure de courir de longues distances ou parcourir un terrain technique avec peu d’épaisseur sous le pied, plus son niveau technique et ses capacités physiques sont élevés. Ainsi, pour sensibiliser les coureurs à ces notions, nous pourrions imaginer lors d’une course un classement parallèle au classement officiel qui tiendrait compte du niveau d’amortissement de la chaussure en attribuant des pénalités sous la forme d’un pourcentage de temps supplémentaire en fonction de l’épaisseur de la chaussure ; celle-ci palliant/masquant les conséquences des faiblesses physiques et techniques. Des chaussures qui faussent de fait les résultats en permettant d’aller plus loin, ou tout simplement d’atteindre la ligne d’arrivée, comme en témoignent des Traileurs habitués aux longues distances portant ce type de matériel. Ils répondent sans hésiter qu’ils ne pourraient pas aller au bout tant cela deviendrait inconfortable et traumatisant du fait qu’ils commencent à ‘’taper des pieds’’, pour certains dès le 35ème kilomètres, alors qu’ils vont en parcourir plus d’une centaine.
Certains verront ici la solution à leur problème et courront acheter ce type de chaussures, alors que d’autres décèleront une incohérence entre la distance parcourue et le niveau réel de ces coureurs. Ne nous trompons pas d’objectif, prenons le temps et le plaisir de développer nos capacités physiques et techniques plutôt que de tenter de pallier nos lacunes.
Ce qui soulève une double question de fond : Quel sens souhaitons-nous donner à la pratique sportive ? Et quelles valeurs souhaitons-nous que ce sport véhicule ?
Que retenir
- Pallier n’est pas solutionner
- La lecture du terrain ça s’apprend
- Le fait d’évoluer sur un terrain aseptisé limite nos capacités
- Pour améliorer sa technique le coureur doit agir avec conscience et en connaissance de cause. Porter des chaussures fines, souples et sans drop ne suffit pas !
- Courir avant-pied
- La technologie est en nous et non dans le matériel
Pour aller plus loin
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- Version Apple book
- Version E-book