Les chaussures ‘barefoot’ la clé du succès en Trail !? Germain Grangier / Katie Schide

Par Fred Brigaud
Réflexion croisée /  Katie Schide, Germain Grangier, Fred Brigaud

[ Sommaire : Démythifier la chaussure rigide | Trail et chaussure ? | Etre conscient et raisonné | Se maintenir à son meilleur potentiel | Un pied différent selon la dureté du sol | Le pied une structure mobile | Une lente transition vers des chaussures à tendance barefoot | Un corps sous influence dépendant de nos choix | Que retenir |Pour aller plus loin |Palmarès Germain Grangier | Palmarès Katie Schide ]

Profitant de la présence de Katie et Germain venus passer quelques jours à Argentière pour reconnaitre certaines parties du parcours de la CCC, c’est à la terrasse d’un café que nous nous retrouvons en cette agréable journée de juin pour évoquer la problématique du choix de la chaussure en Trail.

Katie, Germain & Fred

Démythifier la chaussure rigide

Katie nous relate ses 4 étés passés aux US comme gardienne de refuge au Lake of the Clouds dans les Appalachian Mountains (New Hampshire) durant lesquels elle effectuait des portages pour le ravitaillement deux fois par semaine. 1h30 à 2h30 de marche sur un sentier très technique de type éboulis, avec 1000 à 1200m de dénivelé, et un sac à dos dont le poids oscillait entre 20 et 40kg ; elle, ne pesant que 56kg pour une taille d’1m69. Des portages qu’elle effectuait volontairement chaussée de chaussures souples et légères et surtout pas de chaussures de montagne rigides et hautes comme il est habituellement conseillé. Elle nous fait part de son expérience et nous explique que, en raison de leur rigidité, les grosses chaussures de montagne basculent latéralement à chaque pas dès que le terrain devient irrégulier. Elle se remémore le manque de stabilité qu’engendrait ce type de chaussure, allant jusqu’à la faire chuter, et l’amenant à abandonner définitivement celles-ci.

Trail et chaussure ?

De même, dans sa pratique du Trail, elle porte des chaussures souples et flexibles pour préserver les mouvements au sein de ses pieds. Lorsque nous lui demandons d’être plus précise concernant ces mouvements elle nous explique que, d’après son expérience, le pied doit pouvoir prendre la forme du terrain et que c’est de cela que dépend la stabilité de ses appuis. ‘’Well it’s more like if I wasn’t wearing shoes’’ indique-t-elle. Rappelons que Katie, tout comme Germain, développe une foulée avant-pied et utilise des chaussures à tendance barefoot, autrement dit, qui n’altèrent pas la biomécanique du pied tout en le protégeant des aspérités. Ses principaux critères pour choisir une chaussure de Trail sont donc la légèreté (poids), la flexibilité (mobilité des orteils, souplesse de l’arche antérieure) et un bon grip quelque soit la surface (terre, rocher,…).

Lorsque vient le tour de Germain de nous faire part des principales caractéristiques techniques qu’il recherche dans une chaussure, il reprend les trois points évoqués par Katie et ajoute le paramètre de torsion. Il fait référence à cette mobilité spécifique du pied permise par l’interligne articulaire de torsion (IAT) qui sépare l’avant-pied de l’arrière-pied et qui permet, lorsque nous sommes en appui avant-pied, de faire varier l’orientation ou l’inclinaison de la jambe sans pour autant perdre le gainage de la cheville ou du genou. Un mécanisme de torsion qui absorbe également dans une certaine mesure les dévers du terrain sans les répercuter au reste de la jambe, c’est-à-dire sans générer d’instabilité. Un mécanisme de torsion qui confère à l’avant-pied une fonction d’interface neutralisatrice, d’élément de jonction entre le sol et le reste de la jambe, arrière-pied inclus.


L’avant-pied devient une interface neutralisatrice, un élément de jonction entre le sol et le reste de la jambe arrière-pied inclus.  »Corriger le pied sans semelle », Fred Brigaud, Adverbum 2015

être conscient et raisonné

En fonction de ses entrainements, de la technicité et de l’agressivité du terrain (abrasif, rocheux, caillouteux,…) Germain choisit un matériel plus ou moins résistant, avec une semelle qui soit en mesure de limiter l’apparition de zones d’hyperpression sous le pied si par mégarde il venait à poser le pied sur une pierre pointue. ‘’En course, lorsque je fais du long, je cherche à me protéger des pierres qui dépassent et qui risquent de produire un appui très ponctuel [localisé] sous l’arche antérieure du pied’’ nous explique-t-il. ‘’On a tendance à avoir des phases durant lesquelles nous perdons en lucidité, où la lecture du terrain est moins bonne, comme durant la nuit où il est parfois difficile de distinguer les pierres qui dépassent. Nous ne sommes pas alors à l’abri de poser le pied sur un caillou pointu’’ précise-t-il.

Il faut avoir conscience que plus on se tourne vers des chaussures fines et souples (cf. Pour aller plus loin : comprendre le pied pour mieux choisir ses chaussures – Critères biomécaniques) , plus nos appuis doivent être précis. Notre marge d’erreur est réduite. Par ailleurs, mécaniquement, la pression au cm² exercée sous l’arche antérieure du pied augmente et est davantage localisée. Des phénomènes mécaniques naturels qui font craindre la blessure amenant les coureurs à choisir des chaussures avec des semelles plus épaisses (amortissantes) par manque de connaissance et de patience. Rappelons que l’utilisation d’un matériel à tendance barefoot, ou comme pieds nus, permet de développer puis de maintenir une architecture du pied plus solide, d’améliorer le toucher de pied et la lecture du terrain, pour peu que l’on court avec un minimum de conscience et de technique durant les entrainements pour en faciliter l’automatisation en course. La technologie est en nous et non dans la chaussure.

Se maintenir à son meilleur potentiel

Nous devrions donc prendre cette problématique sous un autre angle et comprendre qu’à utiliser des chaussures rigides avec des semelles épaisses et très amortissantes, nous affaiblissons l’architecture du pied et perdons rapidement de la ‘’qualité de pied’’ et de la précision dans la lecture de terrain, devenant dépendant du matériel que l’on chausse. En ce sens qu’il devient impossible de courir de façon semblable avec des chaussures plus fines. Il n’est pas inutile d’insister sur le fait que notre corps est en perpétuel remaniement (destruction/construction), et que la solidité de sa structure dépend du niveau de stimulation auquel elle est soumise régulièrement. De ce fait, les chaussures amortissantes diminuant les contraintes qui s’appliquent au sein du pied  affaiblissent sa structure.

Pour mieux comprendre ces notions d’adaptation, formulons-les ainsi : Si vous marchez en permanence pieds nus, la structure du pied est à son meilleur potentiel et en adéquation avec le reste du corps, nous pourrions évaluer sa résistance à 10/10. A l’inverse, à distance parcourue et allure égales, plus vous utilisez des chaussures avec des semelles amortissantes, plus la structure du pied s’affaiblit, nous évaluerions sa résistance alors à 6/10 par exemple (la structure s’adaptant à un niveau de contrainte plus faible). Aussi surprenant que cela puisse paraître, vous vous retrouvez alors avec un pied qui n’est plus architecturalement en adéquation avec le reste du corps et les contraintes liées à votre activité.

Un pied différent selon la dureté du sol

Par ailleurs, n’oublions pas que la solidité du pied dépend également de la surface sur laquelle on se déplace. Plus le sol est dur (terre sèche et tassée, bitume, béton) plus le pied est solide. Ainsi une personne qui marche quotidiennement pieds nus sur un terrain meuble aura un pied moins résistant qu’une personne qui marche quotidiennement pieds nus sur un terrain dur. Cette adaptation du pied est permanente et peut fluctuer dans de grandes proportions. Il suffit de se référer à l’influence néfaste de l’apesanteur sur la matrice osseuse et la musculature des astronautes qui séjournent longtemps dans l’espace. Rien n’est donc acquis ad vitam aeternam, la solidité de la structure dépend de la régularité de la stimulation et de son niveau. Gardons en tête également que nous perdons plus rapidement que nous ne gagnions. Ainsi, porter des chaussures avec une semelle épaisse revient à faire le choix d’affaiblir volontairement une partie de son architecture.

L’erreur courante lorsque l’on est habitué à courir sur des surfaces meubles avec des chaussures amortissantes est de choisir des chaussures encore plus amortissantes lorsque l’on vient à courir sur des surfaces dures pour éviter de ressentir l’impact sous le pied. En pensant résoudre le problème, on ne fait en fait qu’aggraver le phénomène de désadaptation de l’architecture. Il faudrait au contraire avoir conscience du lent phénomène de remaniement et d’adaptation de la structure, et laisser le temps au corps de se renforcer plutôt que de pallier ses faiblesses.

De plus, affaiblir le pied revient également à affaiblir le système musculaire stabilisateur, celui qui nous protège des entorses dites « de la cheville ». En effet, le système musculaire concerné s’insère dans le pied et son efficacité dépend/résulte directement de la mobilité intrinsèque de celui-ci. L’intuition de Katie était donc fondée.

Le pied une structure mobile

‘’Durant les entrainements je recherche des chaussures souples, légères [poids], et sans cette protection particulière sous le pied car j’ai une meilleure lecture du terrain, et je peux faire davantage attention où je pose le pied. Après la séance de vélo, lorsque je fais des entrainements croisés Vélo/Course à pied, j’utilise des chaussures très souples qui libèrent le pied’’ nous explique Germain. Les mouvements au sein du pied retrouvent ainsi leur pleine et entière amplitude, la musculature fonctionne de nouveau.

Mouvement de torsion du pied en appui.  »Corriger le pied sans semelle », Fred Brigaud, Adverbum 2019 – Nouvelle édition

Rappelons que le pied n’est pas un bloc rigide, nous ne parlons pas ici des mouvements du pied par rapport à la jambe mais des mouvements au sein du pied ; pas seulement le mouvement des orteils, mais du mouvement de flexion/extension des métatarsiens, de torsion entre l’avant-pied et l’arrière-pied (à l’image d’une serpillère que l’on essore)… Des mouvements qui font évoluer instantanément la forme du pied, comme vous pouvez le constater sur cette vidéo, où le talon se déplace latéralement par rapport à l’avant-pied dans un espace de plus de 7cm, creusant ou aplatissant l’arche interne, allongeant ou raccourcissant la longueur du pied (d’une à une pointure et demie), élevant ou abaissant le ‘’cou-de-pied’’. Le pied possède une réelle mobilité intrinsèque dont dépendent la stabilité de la ‘’cheville’’ et de la jambe, et la qualité des appuis comme nous l’avons précédemment évoqué. Plus les chaussures sont rigides plus elles sont semblables à des plâtres qui, à force d’être portés, affaiblissent la musculature ainsi que l’architecture osseuse et tendineuse.

Une lente transition vers des chaussures à tendance barefoot

‘’Pour m’habituer à ce type de matériel il m’a fallu du temps. Au départ, j’alternai avec des chaussures plus épaisses. J’ai réellement mis une bonne année pour pouvoir les supporter et ressentir que mes tendons, mes os et mes muscles étaient suffisamment renforcés, ne plus ressentir de fatigue au niveau du pied et des tendons d’Achille après un entrainement. Maintenant c’est intégré’’ nous explique Germain. Il faut également garder en tête que si on repart sur un matériel plus épais les bénéfices acquis disparaissent progressivement, et parfois plus rapidement que nous pourrions le penser comme il a pu le constater. ‘’Quand je rechausse des fives, alors que j’ai couru durant cinq jours avec des chaussures légèrement moins souples, je ressens une perte, la musculature du pied se fatigue plus rapidement et j’ai moins de gainage et de maintien au niveau de la sous-talienne’’.

‘’Quand je me suis cassé le pied j’ai remis des chaussures plus épaisses. J’étais un peu pataud et en descente c’était gênant car le volume entraine une perte de précision pour passer de pierre en pierre’’ indique Germain. ‘’Je recherche également des chaussures qui suivent le contour du pied’’.

Un corps sous influence dépendant de nos choix

Nous ne naissons pas avec des chaussures et l’évolution de l’espèce humaine ne s’est pas construite autour des chaussures. Ainsi, lorsque nous affirmons que le pied  n’est plus adapté au barefoot, nous exprimons le fait qu’il n’est plus assez entrainé ce qui laisse entendre qu’avec du temps et de l’entrainement le pied va se renforcer (os, ligaments, muscles,…) jusqu’à être en mesure de supporter de nouveau les contraintes qui s’appliquent lorsque l’on court pieds nus ou avec des chaussures à tendance barefoot.

L’orientation des fabricants de chaussures se calque sur nos comportements. Si nous changeons notre façon de pratiquer le Trail, le marché évoluera de lui-même. Les marginaux ne seront alors plus ceux qui portent des chaussures fines à tendance barefoot pour courir. Les coureurs seront plus prompts à être conscients de leurs limites et de la qualité de leur gestuelle. Les formats de course évolueront d’eux-mêmes et correspondront davantage au niveau d’entraînement physique et technique qu’un coureur amateur peut acquérir en combinant ses temps d’entraînement avec sa vie familiale et professionnelle.

Le choix des chaussures influence directement la façon dont se construit notre corps – son équilibre, sa stabilité – mais également la manière que nous avons de parcourir les sentiers (gestuelle, allure, durée, intensité, surface,…). Ainsi, devant ce constat, au-delà de notre propre personne, une réflexion peut être soulevée : quel corps et quelle relation au corps souhaitons-nous développer chez nos enfants ?

Que retenir
  • Porter des chaussures à semelle épaisse revient à faire le choix d’affaiblir volontairement une partie de son architecture
  • Le corps est en remaniement perpétuel
  • Laisser le temps au corps de s’adapter, il existe un temps d’adaptation/de transition pour passer d’une chaussure à semelle épaisse à des chaussures de type barefoot
  • La technologie est en nous, pas dans la chaussure
  • Le pied n’est pas un bloc rigide
  • Courir avec sa tête ou avec son corps ?
Pour aller plus loin
e-learning – Instabilités de la cheville, approche fonctionnelle | Cliquez sur l’image

Un pied fonctionnel assure une jonction efficace avec le sol et optimise la prise d’appui, il s’accompagne d’un meilleur maintien de la « cheville » et participe ainsi à la prévention des entorses. De plus, il augmente la marge de manœuvre en cas de déséquilibre et permet de développer un appui plus dynamique.


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