En ces premiers jours de printemps, elle parcourt la nature qui s’éveille. Les foulées se succèdent à un rythme régulier. L’air frais et vivifiant du matin s’écoule le long de sa musculature saillante et la galvanise. Elle accélère soudainement, donnant l’impression de voler au dessus du sol. Ses mouvements sont fluides, harmonieux et équilibrés. Chaque appui est maitrisé et déroule parfaitement ; amorti, soutien, propulsion se succèdent à cadence élevée. Elle n’est pas seule, suivie par sa harde qui galope avec elle au milieu de la steppe mongole.
Amortir
Si nous avons tous déjà vu galoper un cheval, nous n’avons pas forcément observé la façon dont il amortit les contraintes à chaque foulée. L’ensemble des mammifères, qu’ils soient digitigrades (marchant et reposant sur leurs doigts – chat, chien, guépard,…) ou onguligrades (marchant sur un ou plusieurs sabots – cheval, rhinocéros,…), amortissent la force de réaction au sol à chaque foulée grâce à un système de bras de levier qui constitue leurs membres antérieurs et postérieurs. Cette biomécanique du cheval pourrait-elle nous apprendre quelque chose sur la façon d’employer nos propres jambes lorsque nous courons ?
La grande illusion
Chez le cheval, les antérieurs (pattes avant, membres thoraciques) et les postérieurs (pattes arrière, membres pelviens) se terminent par un seul doigt, respectivement le 3ème métacarpien et le 3ème métatarsien, qui se prolonge par trois phalanges dont la dernière, à la forme singulière, s’entoure d’un sabot. Si ces membres (antérieurs et postérieurs) sont très longs et verticaux, leurs extrémités en appui au sol sont à même de se fléchir fortement à chaque foulée dès que les contraintes augmentent. L’articulation mise en jeu correspond à la métacarpo-phalangienne pour les membres antérieurs et à la métatarso-phalangienne pour les membres postérieurs. C’est-à-dire l’articulation qui relie le segment formé par les trois phalanges au 3ème méta. Une biomécanique difficile à percevoir car la majorité des clichés représentant un cheval au galop sont, pour des raisons d’esthétisme, pris durant la phase aérienne.
A l’arrêt, chez un cheval équilibré, le 3ème méta est proche de la verticale alors que l’axe longitudinal passant par les phalanges est incliné à 55° (en moyenne) par rapport au sol. L’angle de l’articulation métatarso-phalangienne est donc ouvert à 145°. On remarque par ailleurs que le segment formé par les phalanges est relativement court comparativement aux autres, mais très mobile.
Amortir à chaque foulée
Au galop, lors de la prise d’appui, l’amortissement de la force de réaction au sol passe par une extension de la métacarpo-phalangienne (membres antérieurs) et de la métatarso-phalangienne (membres postérieurs). D’autres articulations participent à l’amortissement dont nous ne parlerons pas ici. Plus le cheval galope vite, plus les contraintes augmentent, et plus cette articulation se mobilise. A tel point que l’angle se referme pour atteindre seulement 95°. Un phénomène encore plus visible à la réception d’un obstacle où l’axe du paturon (1ère phalange) rejoint presque l‘horizontale, se traduisant visuellement par la descente du boulet (jonction méta(carpo/tarso)-phalangienne). Ce n’est donc pas, pour les postérieurs, la cheville qui est sollicitée mais l’articulation métatarso-phalangienne. Un dernier paramètre, la mobilité des phalanges, permet au sabot de se poser à plat et d’assurer ainsi une jonction efficace entre le sol et le reste du membre. Même si la forme des pièces osseuses et leur longueur diffèrent chez l’Homme, il bénéficie des mêmes fonctions pour peu, comme nous allons le voir, qu’il soit pieds nus et prenne appui par l’arche antérieure du pied.
Bondir pour mieux amortir
Lorsque nous bondissons sur place pieds-nus, nous amortissons naturellement la force de réaction au sol en prenant appui par l’avant-pied au niveau de l’arche antérieure, les orteils se posant plus ou moins simultanément selon le degré de flexion de la cheville durant la phase aérienne. Rappelons que l’arche antérieure se compose de la tête des métatarsiens et est à différencier des orteils. Durant la phase d’amortissement, le pied pivote autour de l’arche antérieure en appui et le talon s’abaisse jusqu’à effleurer le sol sans se reposer. Le pied forme alors avec le sol un bras de levier dit inter-résistant. Les deux forces qui s’appliquent sur le levier sont de sens opposés. La force résistante transmise par le tibia sur le pied s’applique entre le point d’appui (arche antérieure) d’une part, et la force motrice transmise au levier via le tendon d’Achille d’autre part. Ce levier a la particularité d’être très puissant et de n’engendrer qu’un faible déplacement vertical. Quelques bonds sur place suffisent pour percevoir ces phénomènes mécaniques et leurs avantages. C’est-à-dire une faible dépense énergétique associée à une faible oscillation verticale du centre de gravité durant la phase d’appui.
Ce qui n’est plus le cas dès que nous nous réceptionnons par les talons, ou pieds à plat car nous devons alors fléchir fortement les genoux, les hanches, et la colonne vertébrale pour limiter l’impact. Une gestuelle grossière, très coûteuse énergétiquement, dont il est impossible d’élever la fréquence (nombre de bonds par minute), et qui nous prive de toute élasticité. Là encore, quelques bonds suffisent pour percevoir son inefficacité. En repassant à une prise d’appui avant-pied, nous retrouvons immédiatement de l’élasticité, de la fréquence, mais également de la finesse et de l’économie.
Version e-learning du guide de la foulée
Le pied plus en détail
L’extension active des orteils qui précède la prise d’appui met en tension les tendons des fléchisseurs de ces mêmes orteils ainsi que l’aponévrose plantaire, raccourcissant longitudinalement la longueur du pied et creusant la voûte plantaire. Ainsi lorsque les orteils se redressent, les métatarsiens fléchissent. A l’inverse, au fur et à mesure que le pied prend appui par l’arche antérieure, les orteils s’abaissent et la voûte plantaire s’allonge. Ce mouvement d’extension des métatarsiens (cunés inclus) lors de la prise d’appui participe également à l’amortissement de la force de réaction au sol. A cela s’ajoute la mobilité articulaire entre les différentes pièces osseuses qui composent le pied mais dans des amplitudes plus faibles.
Renforcer ces mécanismes d’amortissement
La pratique de la corde à sauter pieds nus sur un sol souple, qui spontanément nous amène à nous réceptionner par l’arche antérieure, permet également de solliciter et de renforcer ces mécanismes. Cependant, pratiquer la corde à sauter pieds nus sollicite fortement les mollets, les fléchisseurs des orteils, et l’ensemble de l’architecture du pied. Ils devront subitement supporter des charges pour lesquels ils ne sont pas encore adaptés. C’est pourquoi il est souhaitable, pour ne pas développer une pathologie de surentrainement (métatarsalgie, tendinopathie, ‘’déchirure’’,…), de débuter sur un sol souple en étant chaussé. Ce n’est que progressivement, après quelques mois, qu’il sera possible de pratiquer la corde à sauter pieds nus sur une surface plus dure. Rappelons que l’adaptation de l’appareil locomoteur se fait lentement et diffère d’un individu à l’autre selon son âge, les disciplines sportives qu’il pratique,… et le matériel qu’il porte habituellement. Il sera nécessaire également de porter une attention particulière sur l’efficacité de la gestuelle. Nous chercherons à faire le moins de bruit possible à la réception, et veillerons à laisser descendre le talon jusqu’à ce qu’il effleure le sol.
La foulée avant-pied associée au barefoot permet de bénéficier de ces différents mécanismes, de les renforcer et d’apprendre à amortir efficacement et naturellement les contraintes jusqu’à poser spontanément le pied avec douceur comme Mira-Raï dans cette vidéo. Cependant, il n’est pas vain de rappeler que l’architecture du pied va devoir se renforcer pour supporter les contraintes qui lui seront directement appliquées. Nous devrions dire que nous allons devoir rééduquer nos pieds puisque la faiblesse de son architecture provient des chaussures que nous portons, de l’utilisation que nous en avons et des terrains aseptisés sur lesquels nous nous déplaçons.
Une dynamique qui finalement nous éloigne de la catégorie des plantigrades, ‘’mammifère qui marche en appuyant sur le sol toute la surface de la plante des pieds’’, et nous rapproche de celle des digitigrades à la différence que nous prenons appui par l’arche antérieure et non par les orteils. Le progrès n’est pas dans les chaussures mais dans notre capacité à ne pas oublier les avantages évolutifs dont nous sommes dotés.
»Ce que l’on voit, c’est ce que l’on sait être présent » Albert Jacquard.
A retenir
- La foulée avant-pied et le barefoot emploient pleinement ce double mécanisme pour amortir efficacement la force de réaction au sol ce qui n’est pas le cas lors d’une attaque talon ou pied à plat.
Pour aller plus loin
- Tester et passer à une foulée avant-pied
- Accepter notre humanitude (Article)
- Trekking en chaussure barefoot dans l’Atlas Marocain (Article)
- Anatomie comparée des mammifères domestiques, tome 1, Ostéologie, Robert Barone, Ed Vigot, 1999
Un pied fonctionnel assure une jonction efficace avec le sol et optimise la prise d’appui, il s’accompagne d’un meilleur maintien de la « cheville » et participe ainsi à la prévention des entorses. De plus, il augmente la marge de manœuvre en cas de déséquilibre et permet de développer un appui plus dynamique.
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