Etre le meilleur ne veut pas dire être à son meilleur potentiel. Le corps d’Adam Ondra comporte de multiples déséquilibres et asymétries, dont deux pieds dits ‘’plats pronateurs’’ comme nous pouvons l’observer dans la vidéo intitulée ‘’Road to Tokyo #38 – What is the best body type for Climbing’’ alors qu’il est en short, le torse et les pieds nus. Des déséquilibres que nous retrouvons lorsqu’il grimpe mettant en exergue, par ailleurs, la robustesse du corps en général, c’est-à-dire la capacité du corps à mener une action alors que plusieurs ressources biomécaniques ne sont pas aux meilleures de leur potentiel, voire font défaut.
Vous pensez peut-être que cela ne l’empêche pas d’être actuellement l’un des meilleurs grimpeurs au monde, alors pourquoi s’en soucier ? S’il est évident que l’escalade, comme n’importe quelle discipline sportive est plurifactorielle, il n’en reste pas moins que la solidité d’un corps dépend de ses parties les plus faibles, tout comme la solidité d’une chaîne dépend de son maillon le plus faible*. Des pieds pronateurs impactent directement la capacité à maintenir certaines prises et à réaliser certains pas, augmentant le coût énergétique et le risque de pertes d’adhérence. Retenons que chaque ressource biomécanique a son importance et a une incidence sur l’éventail de nos possibilités techniques et posturales.
Des pieds plats
Adam Ondra présente un déficit plus marqué au niveau du pied droit avec une arche interne plate et une bascule de la cheville vers l’intérieur (fig.1). Si nous devions évaluer son déséquilibre sur une échelle de 0 à 10, où 10 serait la limite articulaire et 0 l’équilibre optimal, il se situerait aux alentours de 8 sur 10. Le pied droit, sur lequel nous portons notre attention, est orienté vers l’extérieur par rapport à la jambe (fig.2), c’est-à-dire éversé, et l’avant-pied est en rotation externe par rapport au reste du pied (fig. 3).
Notons que nous nous intéressons ici à deux mouvements essentiels pour l’escalade, le mouvement d’inversion/éversion du pied par rapport à la jambe, qui permet d’orienter le pied par rapport à celle-ci, et le mouvement de rotation de l’avant-pied qui permet d’incliner l’arche antérieure indépendamment du reste du pied. Deux mouvements provenant de deux articulations distinctes, l’articulation sous-talienne et l’interligne articulaire de torsion (IAT). La musculature actuelle du pied d’Adam Ondra ne lui permet pas de maintenir celui-ci au point d’équilibre et de contrôler l’inclinaison de l’arche antérieure, le privant par conséquence de tout un secteur d’appuis qui l’oblige à compenser ce déficit en modifiant l’organisation de sa jambe. Ainsi, en appui, il ne peut pas simultanément maintenir l’arche antérieure à l’horizontale et son pied dans l’axe (fig.3).
A contrario, lorsque le pied est fonctionnel, le grimpeur peut selon les besoins produire et maintenir n’importe quelle orientation du pied et n’importe quelle inclinaison de l’avant-pied (fig.4).
Le contrôle et le maintien en appui de l’orientation du pied et de l’inclinaison de l’avant-pied déterminent l’étendu de l’éventail des stratégies à notre portée (combinaisons de mouvements et de postures).
Le plus biomécanique – Notons que debout sur un sol plat, alors que nous ne présentons pas de défauts de statique sus-jacents, plus le pied est éversé, plus l’avant-pied est en rotation externe (détorsion) ; et inversement, plus le pied est inversé, plus l’avant-pied est en rotation interne (torsion).
S’ouvrir de nouvelles stratégies
L’adhérence dépend de la position de notre corps par rapport à la prise de pied, et notre position dépend de la justesse de l’orientation du pied et de l’inclinaison de l’arche antérieure sur la prise. Ainsi, notre marge de manœuvre et notre aisance dépendent de notre capacité à ajuster au mieux l’orientation de notre pied sur la prise. Lorsque le chausson est en adhérence sur une petite prise, chaque changement d’orientation du pied nécessite une réorchestration du corps pour tenir l’équilibre et tout changement d’orchestration du corps nécessite une maitrise optimale des différentes articulations qui contrôlent l’orientation et l’assiette du pied pour ne pas perdre en adhérence. Pour parvenir à cela il faut posséder un pied fonctionnel, c’est-à-dire qui soit en mesure de tenir n’importe quelle orientation et inclinaison (fig.4). Ce qui n’est pas le cas d’un pied pronateur dont tout un secteur est inaccessible en appui, limitant ainsi les possibilités du grimpeur et nécessitant d’être compensé en rentrant le genou.
La capacité à maintenir l’appui au point d’équilibre dépend des paramètres suivants (non exhaustifs) :
- Du contrôle de l’inclinaison de l’avant-pied.
- Du contrôle de l’orientation du pied.
- D’une coactivation équilibrée des muscles stabilisateurs du pied (jambier postérieur et fibulaires).
Un déficit d’un ou de plusieurs de ces paramètres entrainent une cascade de mouvements compensatoires (1. rotation externe de l’avant-pied, 2. bascule du talon, 3. rotation interne de la jambe, 4. rentrée de genou…) qui modifient l’orchestration de la jambe et limitent les possibilités de mouvements du grimpeur pronateur (fig.5).
Unclimbed project
Alors qu’Adam Ondra tente ‘’Unclimbed project’’, une 9b à Canmore au Canada, (vidéo Age of Ondra part III), il parvient difficilement à franchir le Crux de la voie dans lequel il doit tenir une petite prise de pied située à sa droite et à la hauteur de son visage, qu’il atteint après avoir effectué un pied/main. Dans le mouvement suivant, il doit charger au maximum cet appui sans perdre en adhérence pour placer son corps presque à l’horizontale afin de positionner les doigts de la main gauche sur une petite écaille avant de se redresser pour atteindre à l’aide de la main droite une prise située au-dessus de lui et à la verticale. Pour passer ce Crux, en raison de la faiblesse de la musculature de son pied droit, il n’a pas d’autre choix que de rentrer au maximum le genou en le plaquant à la paroi pour compenser l’éversion du pied et la rotation externe de son avant-pied. Il ne s’offre alors à lui qu’un mouvement extrêmement difficile qui ne tolère que très peu d’erreur pour être réalisé. L’amenant à échouer plusieurs jours d’affilée jusqu’à trouver l’enchaînement de mouvements et de postures que lui autorisent ses appuis.
En améliorant le contrôle de l’orientation du pied et de l’inclinaison de l’arche antérieure nous augmentons l’éventail des stratégies à notre disposition.
Le plus biomécanique – Lorsque le pied est éversé et en détorsion, le seul moyen pour placer l’arche antérieure à l’horizontale et charger la première colonne est d’incliner la jambe vers l’intérieur, si la paroi le permet. Cependant, plus nous inclinons la jambe plus nous risquons de faire glisser l’appui vers l’extérieur (fig.6). De telles compensations ne sont pas l’apanage d’un pied fonctionnel, puisqu’il est possible de garder à la fois le pied dans l’axe, la jambe à la verticale et de charger la première colonne.
Développer un pied fonctionnel
Dans un prochain article nous expliquerons comment développer un pied fonctionnel pour l’escalade. Le premier élément que nous vous proposons de tester est le suivant, êtes-vous capable de dissocier l’avant-pied de l’arrière-pied ? C’est-à-dire de contrôler volontairement l’inclinaison de l’arche antérieure de votre pied indépendamment du reste de votre pied comme dans la vidéo ci-dessous. Si oui, c’est un bon début !
Que retenir
- Etre le meilleur ne veut pas dire être à son meilleur potentiel. Notre potentiel ne doit pas s’évaluer par rapport aux autres mais par rapport à soi-même au risque de se limiter.
- En améliorant le contrôle de l’orientation du pied et de l’inclinaison de l’arche antérieure nous augmentons l’éventail des stratégies à notre disposition.
- Un pied, cela se construit et s’entretient.
Pour aller plus loin
- Pas de pied pas de 7b – Article.
- Road to Tokyo #38 – What is the best body type for Climbing https://youtu.be/yFfkOM8RgAU
- Age of Ondra part III – https://www.redbull.com/int-en/episodes/age-of-ondra-part-3
Un pied fonctionnel assure une jonction efficace avec le sol et optimise la prise d’appui, il s’accompagne d’un meilleur maintien de la « cheville » et participe ainsi à la prévention des entorses. De plus, il augmente la marge de manœuvre en cas de déséquilibre et permet de développer un appui plus dynamique.
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*La vie secrète des arbres, Peter Wohhlleben