Prévenir les ongles noirs en course à pied – Approche systémique

Nombre de coureurs se plaignent de l’apparition d’ongles noirs après une longue course, un marathon, un Trail, ou tout simplement après des entrainements un peu plus soutenus. Pour certains c’est exceptionnel, pour d’autres c’est récurant. Nous pensons immédiatement que les chaussures sont trop petites, trop étroites, mal serrées, ou encore que les ongles sont mal coupés, limitant à deux ou trois facteurs les causes d’apparition de cette pathologie, alors que cela peut provenir d’erreurs techniques ou de faiblesses architecturales. Si chausser des chaussures plus grandes limite l’apparition de ce phénomène, cela a pour conséquence aussi de masquer les défauts et les faiblesses à l’origine de celui-ci, laissant le coureur les perpétuer.

Pourquoi l’ongle devient-il noir ?

Dans le cadre de la course à pied, l’apparition d’un hématome sous-unguéal fait suite à des microtraumatismes répétés ou à un choc violent au niveau de l’ongle. Dans le premier cas c’est la conséquence de la répétition de frottements ou de compressions, et dans le second cas suite à un choc brutal lorsque le pied bute dans une pierre par exemple. Précisons que ce n’est que lors de la phase de prise d’appui que peuvent apparaitre ces phénomènes. Une phase d’appui que nous séquencerons en trois temps.

Premier temps. Juste avant la prise d’appui, les orteils sont relevés et les ongles plus ou moins en contact avec le mèche (dessus de la chaussure) selon la forme de la Toe box (boite à orteils) et la souplesse de la chaussure (semelle et mèche). Notons dès à présent que l’extension des orteils dans la chaussure devrait se faire sans contraintes, comme lorsque nous sommes pieds nus. Ainsi debout, les chaussures aux pieds, il suffit pour tester la souplesse du mèche et de la chaussure de redresser les orteils. Plus cela est difficile plus le risque de frottement est important.

Deuxième temps. Lors de la prise d’appui, sur un sol plat, la chaussure frotte plus ou moins sur le sol en fonction de la qualité de la foulée et ce, quelle que soit la technique de prise d’appui. Cette force de frottement orientée vers l’arrière qui freine la chaussure  a pour conséquence de faire glisser le pied vers l’avant dans la chaussure alors que les orteils sont encore relevés. Si l’extension des orteils est limitée dans la chaussure et que les ongles sont au contact du mèche, ils frottent sur le tissu et sont tout simplement cisaillés à chaque foulée. Et si la chaussure est trop petite les orteils butent contre l’avant de celle-ci… Rappelons qu’un marathon couru en 4h à une cadence moyenne de 180ppm comptabilise 40 000 pas ! Dès lors, les ongles n’ont qu’à bien se tenir si la chaussure ne convient pas ou si le coureur présente des défauts techniques. Insistons sur le fait que l’extension des orteils précédant la prise d’appui et au départ de la prise d’appui est un phénomène mécanique naturel et indispensable. Il permet lors d’une foulée avant-pied de présenter la partie la plus large et la plus adaptable du pied, l’arche antérieure.

Troisième temps. Les orteils s’abaissent une fois l’arche antérieure en contact avec le sol. Durant cette phase, selon la qualité de la prise d’appui, le pied peut toujours glisser vers l’avant de la chaussure ou y rester en butée, et les ongles frotter contre le tissu alors que les orteils s’abaissent. Notez que si vos chaussettes se trouent rapidement au niveau du gros orteil il est probable que vos ongles sont trop longs ou que l’extension des orteils est limitée dans la chaussure.

L’arbre qui cache la forêt

Nous pourrions limiter notre réflexion à la longueur et la souplesse de la chaussure. Cependant, comme nous l’évoquions précédemment,  prendre deux pointures au-dessus ne résoudra pas les défauts techniques et les faiblesses intrinsèques des pieds (musculature, force, endurance,…). Ce qui nous semble important c’est de comprendre l’ensemble des différents mécanismes susceptibles d’augmenter dans une certaine mesure ces frottements et de prendre le temps d’agir sur eux puisque ce n’est pas seulement un problème de chaussure.

Nous pouvons catégoriser trois familles de facteurs déclenchants : les défauts techniques qui entrainent un glissement du pied vers l’avant de la chaussure, l’évolution de la longueur du pied au cours de la foulée et le matériel. Nous pourrions également ajouter les capacités du moment des ongles à supporter des frottements répétés.


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e-learning – Méthodologie pour tester, analyser et passer à une foulée avant-pied | Cliquez sur l’image

Défauts techniques
  • Défaut de poulaine. La poulaine qui représente la trajectoire de la cheville par rapport à la hanche peut être plus ou moins efficace et adaptée à l’allure. La hauteur de la cheville détermine le sens de déplacement et la vitesse du pied par rapport au sol lors de la prise d’appui. Si la hauteur est suffisante, il apparait une phase d’accélération du pied vers l’arrière juste avant la prise d’appui qui permet d’entretenir l’allure ou de l’accélérer ; le coureur a la sensation que son pied glisse vers l’arrière dans la chaussure. A l’inverse, si la hauteur est insuffisante, le pied bute dans le sol faisant glisser plus ou moins fortement le pied vers l’avant de la chaussure. Il existe donc pour chaque allure un point d’efficacité de la poulaine, c’est-à-dire une flexion de hanche suffisante pour obtenir cette phase d’accélération. Notons que fléchir les hanches plus que nécessaire est inutile et énergivore. Plus l’allure est élevée plus la foulée est aérienne et, à contrario, plus l’allure est faible plus la foulée est rasante. Une flexion de hanche insuffisante par rapport à l’allure, qui se traduit par une poulaine trop courte, fait glisser le pied vers l’avant de la chaussure à chaque foulée.
  • Cadence trop faible. La cadence représente le nombre de pas par minute. Aux alentours de 180ppm et plus, le coureur bénéficie d’un retour élastique, limitant au maximum le phénomène de relance. Pour exploiter au mieux ce mécanisme la cadence doit rester le plus possible indépendante de l’allure, c’est-à-dire ne pas fluctuer en fonction de l’allure. Ce qui n’est plus le cas dès que nous nous approchons de nos allures maximales étant limité par la longueur de nos segments. Dans le cadre qui nous intéresse, pour une même allure, plus la cadence est faible plus la longueur de la foulée et l’oscillation verticale augmentent, nous obligeant à nous réceptionner de plus en plus haut à chaque foulée. De fait, les contraintes à gérer à chaque appui croissent. Ce phénomène, combiné à une poulaine défaillante, amplifie les frottements.
  • Angle d’attaque élevé, jambe tendue et verrouillage de la cheville. Lors d’une attaque talon, plus l’angle d’attaque est élevé (angle que forme le pied avec le sol), et associé à une jambe tendue et à un verrouillage de la cheville, plus les forces de frottement sont importantes.
  • Faible niveau technique en descente. La course en descente nécessite une maitrise de la gestuelle pour ne pas buter dans le sol à chaque appui. En foulée avant-pied la difficulté réside dans la capacité à descendre le talon après avoir pris appui par l’arche antérieure, afin d’amortir la force de réaction au sol, et à fléchir simultanément le tibia autour de la cheville pour laisser passer le corps au-dessus de l’appui. Le défaut le plus courant est d’avoir une jambe qui se fige et se rigidifie avant de prendre appui attendant d’être en contact avec le sol pour se remettre en mouvement, mais trop tardivement le pied butant dans celui-ci.
  • Faible niveau sur un terrain technique. Courir en milieu naturel nécessite un minimum d’apprentissage pour acquérir suffisamment de dextérité et que les appuis soient efficaces ; la poulaine, l’amortissement, et la longueur de la foulée devant s’ajuster à chaque foulée. Pour un coureur de marathon sur route, cela nécessite une réelle phase d’apprentissage.
  • Fatigue. Avec la fatigue la gestuelle se dégrade. La cadence diminue, la gestion de la force de réaction au sol est moins efficace, la poulaine perd en qualité, les appuis deviennent bruyants. Les éléments de la dynamique de course se dégradent, le pied glisse vers l’avant de la chaussure à chaque foulée mais également latéralement.
Evolution de la longueur du pied

La longueur du pied évolue selon deux mécanismes distincts, le mouvement de rotation de l’avant-pied par rapport à l’arrière-pied, et le mouvement de flexion/extension des différentes colonnes (métatarsiens et cunéiformes).

  • Phase d’amortissement. En foulée avant-pied, sous l’action des muscles fléchisseurs des orteils, la voûte plantaire se creuse juste avant la prise d’appui pour s’abaisser lors de la phase d’amortissement puis se creuser à nouveau lors de la poussée. Un phénomène qui entraine allongement et raccourcissement de la longueur du pied à chaque foulée.
  • Faiblesse des muscles fléchisseurs des orteils. Comme évoqué précédemment, les muscles fléchisseurs des orteils participent au maintien de la voûte plantaire. Une faiblesse à leur niveau entraine un affaissement de la voûte plantaire, faiblesse pouvant provenir d’une fatigue musculaire, d’un niveau de contraintes plus élevé, ou encore d’un effort dépassant les capacités du moment. Insistons sur le fait que le maintien de l’architecture du pied, de sa forme, dépend de sa musculature. De ce fait, comme tout système musculaire, sa résistance dans le temps est fonction de son niveau d’entrainement.
  • Pied pronateur. Techniquement ce phénomène provient d’un défaut d’orientation ou de maintien de l’articulation sous-talienne et de l’Interligne Articulaire de Torsion, ayant pour conséquence un mouvement d’éversion de l’arrière-pied associé à une détorsion de l’avant-pied, et un allongement du pied pouvant aller jusqu’à une pointure et demie pour un 43. Les défauts de maintien peuvent être présents dès les premières foulée ou bien apparaitre progressivement avec la fatigue, ou encore en raison d’un niveau de contraintes (technicité du terrain, allure plus élevée, descente…) supérieur à ce qu’est en mesure de supporter le système musculaire stabilisant cette articulation.
Matériel inadapté
  • Chaussures trop courtes. Rappelons que la longueur du pied évolue pour absorber une partie de la force de réaction au sol mais également pour neutraliser les devers. Lors de l’achat d’une paire de chaussures il faut avoir conscience que le pied est au repos et de fait plus court.
  • Chaussures trop étroites et pointues. Les chaussures trop étroites et pointues favorisent le chevauchement des orteils et leur frottement contre le mèche. Ainsi, la largeur et la hauteur de la toe box doivent être suffisantes pour respecter la forme du pied et le mouvement des orteils.
  • Chaussettes compressives. En cas de défaut de poulaine le pied glisse dans la chaussure mais également dans la chaussette augmentant la compression des orteils.
  • Laçage inadapté. Le fait de serrer trop fortement les lacets rétrécit la boite à orteils, souvent déjà trop étroite, comprimant l’avant-pied et les orteils. La chaussure doit tenir au pied et non tenir le pied. Si le coureur a besoin de serrer fortement ses chaussures, c’est que sa gestuelle présente des défauts techniques ou que ses chaussures sont mal conçues.
A retenir

Les frottements au sein de la chaussure dépendent de la qualité de la foulée et de la prise d’appui, de leur évolution au cours d’une sortie, et pas seulement des chaussures.

  • Les ongles noirs, un révélateur de défauts techniques, de faiblesses physiques et architecturales ou encore d’un matériel inadapté.
  • Le pied s’allonge et se raccourcit à chaque foulée mais aussi en fonction de la présence de dévers et de l’inclinaison de la jambe.
  • La chaussure ne doit pas altérer/limiter la biomécanique du pied.
  • Tester l’extension des orteils.
  • Tester les chaussures en produisant une poulaine trop courte et vérifier que les orteils ne frottent pas contre le tissu ou ne butent pas contre l’avant de la chaussure, car lors d’une sortie il est probable qu’il y aura des défauts de poulaine.
  • Développer un pied fonctionnel ; corriger les défauts de maintien et d’orientation, renforcer la structure, renforcer le système musculaire stabilisateur, renforcer les fléchisseurs des orteils,…
  • Ajuster son allure, la distance, en fonction de l’évolution des éléments de la dynamique de course et de la résistance du pied.
Pour aller plus loin
Un pied fonctionnel assure une jonction efficace avec le sol et optimise la prise d’appui, il s’accompagne d’un meilleur maintien de la « cheville » et participe ainsi à la prévention des entorses. De plus, il augmente la marge de manœuvre en cas de déséquilibre et permet de développer un appui plus dynamique. | Cliquez sur l’image

  • Germain Grangier 3ème de l’UTMB 2023 revient sur sa foulée gagnante « …J’ai fait trop de course à pied d’un coup, et j’ai vu que je n’avais pas du tout l’archétype du coureur à pied. J’ai eu tout un tas de douleurs aux pieds, aux genoux, aux hanches et même en bas du dos parce que j’avais ‘’zéro technique’’ en course à pied… »
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