Des pieds, des chaussures et des semelles

Fred Brigaud pour Ultrafanzine Magazine

Le port de semelles est-il obligatoire ? Il y a les inconditionnels de la semelle et des chaussures rigides qui tiennent le pied, et les autres… Et vous, quelle est votre opinion ? Avant de vous prononcer de but en blanc, commencez par prendre le temps de la réflexion et demandez-vous comment fonctionne le pied ? Ou plutôt comment imaginez-vous qu’il fonctionne ? Ou encore, comment vous a-t-on dit qu’il fonctionnait, si vous avez eu la chance que l’on vous renseigne réellement sur ce sujet. Le pied est là, sous nos yeux, à portée de mains, et pourtant la majorité des gens n’y prête pas attention, sa compréhension ne présentant que peu d’intérêt, et n’hésite pas à l’enfermer à longueur de journée dans un carcan.

On ne nous a pas tout dit !

On s’imagine que le pied est un bloc rigide dont la forme évolue légèrement et lentement dans le temps. Pourtant cette idée est fausse. Comme vous pouvez le constater dans la vidéo ci-dessous, la forme du pied évolue instantanément en fonction de l’orientation de la jambe. L’arche interne se creuse et s’aplatit au gré des mouvements de la jambe par rapport au sol, et ce, grâce à l’Interligne Articulaire de Torsion (IAT) qui permet d’articuler l’avant-pied à l’ensemble médio-pied/arrière pied.

Ce mécanisme de torsion, en dehors de toutes malformations ou autres pathologies, est présent chez tout le monde. Vous devriez donc constater chez vous un phénomène identique avec pour conséquence de creuser et d’aplatir l’arche interne et de déplacer latéralement le talon de plusieurs centimètres (jusqu’à 8cm pour une pointure de 43). Mais il est fort probable que le port au quotidien de chaussures étroites et rigides a légèrement verrouillé cette mécanique. Alors faites le test suivant pour voir ce qu’il en est : Tracez devant vous une ligne au sol à l’aide d’un ruban adhésif pour peinture. Placez-vous en fente avant et posez le pied droit sur la ligne en veillant à placer le milieu du talon et le deuxième orteil sur celle-ci, comme représenté dans la fig.1. Décollez légèrement le talon afin de vous retrouver en appui avant-pied, puis amenez lentement votre genou vers l’intérieur et vers l’extérieur et observez l’évolution de la forme de votre arche interne ainsi que le déplacement latéral du talon par rapport à la ligne tracée au sol. Un déplacement qui devrait être semblable à celui présenté dans la vidéo précédente. Notez que lors de ce test l’avant-pied ne pivote pas autour de l’appui.

(fig.1)

Une indépendance fonctionnelle

Au regard de ce test il existe belle et bien une indépendance fonctionnelle entre l’avant-pied et l’arrière-pied. La forme du pied, et donc son empreinte, change ainsi à volonté ! Par ailleurs, le gainage de la cheville, et de fait la prévention des entorses, dépendent de la qualité et du contrôle de l’Interligne Articulaire de Torsion. Ceci s’explique par le fait que le système musculaire qui mobilise cet interligne stabilise également latéralement la cheville, et plus précisément le complexe articulaire cheville/sous-talienne, d’où l’intérêt de la pratique du barefoot (pieds nus, ou avec des chaussures barefoot qui respectent la biomécanique intrinsèque du pied pour développer et entretenir cette biomécanique. Il est également possible entre deux foulées, durant la phase aérienne, de mobiliser l’avant-pied indépendamment de l’arrière-pied, comme dans la vidéo ci-dessous, non pas pour peindre avec les pieds mais plutôt pour ajuster spontanément l’orientation de l’avant-pied (arche antérieure) à l’inclinaison du sol et gagner en stabilité. Un mécanisme volontaire ou automatisé comparable à celui qui nous permet d’orienter la paume de la main parallèlement à la surface d’un objet pour en faciliter la préhension, comme lorsque nous souhaitons prendre une bouteille posée sur la table par exemple.

Grâce à ce mécanisme de torsion, l’avant-pied devient en appui un élément de jonction entre le sol et le reste de la jambe (arrière-pied inclus), une interface neutralisatrice(fig.2). Une fonction qui est pleinement effective dès que le talon n’est plus en contact avec le sol, mettant donc en exergue tout l’intérêt d’une foulée avant-pied dite naturelle.

(Fig.2)

Par ailleurs, le sol n’est plat essentiellement que dans nos cités, une fois sur les sentiers la forme du sol change d’un appui à l’autre – se bombant, se creusant, s’inclinant – pouvant rendre instable l’appui. Seule une prise d’appui avant-pied, c’est-à-dire au niveau de l’arche antérieure, associée à cette mobilité intrinsèque du pied permet à celui-ci de s’adapter à la surface sur laquelle il se pose. Un mécanisme qui neutralise les irrégularités du terrain sans les répercuter au reste du corps, pour un meilleur contact et davantage de stabilité. Mais pour que cela soit possible, encore faut-il que le pied ne soit pas emprisonné dans un carcan rigide et possède sa pleine et entière fonctionnalité !

Une conception loin de la réalité

Vous comprendrez que cette mobilité, qui se traduit en appui avant-pied par un déplacement latéral du talon, une évolution de la longueur du pied, de la hauteur de l’arche interne et du cou-de-pied,… de la forme de l’arche antérieure, déstabilise les fabricants de chaussures rigides et de semelles. Relatons pour cela une expérience vécue lors du salon du running à Paris qui date maintenant de quelques années et que vous pourrez mener à votre tour une fois que vous dissocierez l’avant-pied et l’ensemble médio-pied/arrière-pied. Un fabriquant de semelle orthopédique proposait de scanner les pieds pour réaliser des semelles sur mesure à l’aide d’une imprimante 3D. Ainsi, après m’avoir scanné le pied droit pour obtenir une empreinte de celui-ci en trois dimensions, j’ai demandé à ce qu’il le scanne une seconde fois. Ce ne fut pas chose aisée puisque pour lui c’était une perte de temps, l’empreinte en 3D devant être identique. Mais en insistant un peu, il a fini par accepter. Et là, qu’elle n’a pas été sa surprise, puisque l’empreinte entre le premier et le second scan était très différente, j’avais augmenté la torsion pour creuser davantage l’arche interne du pied. Face à son étonnement je me suis permis de poser la question suivante : « Quelle semelle me proposez-vous ? ». Je n’ai pas eu de réponse précise si ce n’est que je n’avais finalement pas besoin de semelle. Il est certain qu’aucune semelle ne peut correspondre car le pied change de forme au gré des appuis c’est-à-dire à chaque instant en milieu naturel. A moins de le placer dans une chaussure rigide et de figer ainsi sa mécanique…

Prendre le contrôle

Retenez que la forme du pied, dès que celui-ci est fonctionnel, évolue instantanément en fonction des dévers du terrain, de l’orientation et de l’inclinaison de la jambe, de la qualité de sa posture. L’empreinte du pied n’est pas figée. La forme de l’arche interne doit pouvoir évoluer, la soutenir bloquerait le mécanisme de torsion. Le pied n’est donc pas un bloc rigide, à nous d’en prendre le contrôle. Cela passe par une action consciente et non passive, par la pratique du pied nu ou du comme pied nu en utilisant des chaussures barefoot.

Pour aller plus loin
  • ‘Les chaussures ‘barefoot’ la clé du succès en Trail’ afin de comprendre le lien entre la chaussure, le pied et la course à pied
  • Comment l’amorti déstructure nos appuis !’ Retraçons les mécanismes inhérents à ce phénomène et voyons pourquoi La mobilité et la souplesse du pied, la qualité de sa musculature et son adaptabilité sont tributaires du matériel que nous portons au quotidien et dans nos pratiques sportives, et pourquoi la pratique du barefoot ou du « comme pieds nus » associée à des exercices spécifiques donne le moyen d’équilibrer le pied.
e-learning

Un pied fonctionnel assure une jonction efficace avec le sol et optimise la prise d’appui, il s’accompagne d’un meilleur maintien de la « cheville » et participe ainsi à la prévention des entorses. De plus, il augmente la marge de manœuvre en cas de déséquilibre et permet de développer un appui plus dynamique.

e-learning