Je suis tout sauf un adepte des bâtons et pourtant ce jour là ils m’ont permis d’aller jusqu’au bout.
La veille de l’ascension du Toubkal j’ai pris un coup de chaud, et commencé à en ressentir les symptômes alors que nous franchissions le dernier col de la journée, le Tizi n’Terhalaine à 3300m d’altitude. Pas de chance car, lorsque nous sommes arrivés au campement après une descente en plein soleil, il était à peine 13h, et la température allait continuer d’augmenter. Il n’y avait pas d’arbres, pas d’ombre, juste quelques scorpions jaunes dont il fallait éviter les piqûres, le soleil ne passerait derrière les montagnes qu’après 19h. Rien pour rafraîchir mon corps en dehors d’une minuscule source d’eau qui coule au milieu de nulle part et qui me permet tout de même de placer une poche d’eau froide alternativement sous les aisselles et sur le front. Mais c’est insuffisant pour m’être réellement bénéfique. Il me faudra donc attendre.
Le lendemain nous devons nous lever à 4H30 pour partir à 5h… Je sens que cela va être difficile, mais comme me dira Anass ‘’Tu n’as pas le choix’’, car autour de nous il n’y a rien. Le refuge le plus proche est celui du Toubkal de l’autre côté du sommet à 20km de là où nous nous trouvons. 20 km et 1600m de D+, cela devrait être assez vite bouclé. Pourtant, je n’ai jamais marché aussi lentement… Mais de cela nous parlerons plus tard.
La voie lactée
Durant cette courte nuit j’ai pu admirer plusieurs fois et longuement la voie lactée. La première fois vers minuit, puis vers deux heures du matin et pour finir vers quatre heures… accroupi entre deux pierres. Dans ces moments, on en oublie jusqu’aux scorpions. Quand ce fût l’heure de se lever, enfin pour les autres étant déjà debout, j’étais vidé, au propre comme au figuré. Le sommet du Toubkal se découpait au loin dans la nuit étoilée, mais tellement loin, et tellement haut… Ce qui devait être une partie de plaisir fût un long effort laborieux. Naturellement, impossible d’avaler quoi que ce soit et ce depuis la veille. Même l’eau, c’était difficile. Pourtant s’il y avait bien une chose à laquelle je devais faire attention, c’était le risque de déshydratation, mes intestins n’ayant pas retenu grand chose.
Chanceler au pas du guide
Nous débutons par une descente pour rejoindre un petit plateau à 2550m d’altitude. En voyant mes pas chancelant Valérie me propose de prendre un bâton. Moi, prendre un bâton !? Quelle idée ! Trois mètres plus loin je prenais le second pour ne les lâcher qu’une fois arrivé au refuge. Il me faudra 31 minutes pour parcourir le premier mille (1,609km), soit une moyenne de 3,1km/h en descente ; ce qui n’est vraiment pas rapide même en pleine nuit. Mais le pire restait à venir …
Se déconnecter
Vient alors le temps de la montée. Assez simple comme configuration, un sentier pierreux zigzaguant à flanc de montagne qui aboutit à un col situé à 4000m d’altitude suivi d’une crête qui permet d’atteindre le sommet à 4167m d’altitude. Il me reste donc deux choses à faire, mettre un pied devant l’autre et boire régulièrement. ‘’Chaque pas que l’on fait est un pas de moins à faire !’’ Ne rigolez pas, on se motive comme on peut. Quoi qu’il en soit je reste toujours émerveillé par notre capacité à nous déconnecter de notre corps, mais également de notre esprit, et à passer en mode automatique, enfin en mode semi-automatique, pour parvenir à faire face aux arrêts intempestifs quand vos intestins vous rappellent à l’ordre. Dans ces moments nous sortons brutalement de notre léthargie et retrouvons une certaine rapidité et agilité. Mais ce n’est que de courte durée car dès qu’il nous faut de nouveau marcher, une chape de plomb nous retombe dessus.
Un métronome
C’est là que les bâtons présentent tout leur intérêt et nous permettent de passer en mode 4X4 pour ainsi dire. Même si j’avais très peu de puissance à délivrer, le fait d’employer les bras m’a permis d’alléger le travail des jambes et d’avancer moins lentement. J’ai pu tester deux types de bâton durant cette ascension, des souples et des rigides. Il va s’en dire que ce sont les rigides qui m’ont été les plus utiles. Je pouvais pousser davantage sans qu’ils ne ploient sous la contrainte. J’ai essayé différents rythmes : alterné, à l’amble, et simultané. Des trois c’est le dernier qui correspondait le mieux dans ce contexte. Je plantais simultanément les deux bâtons tous les deux ou trois pas selon le degré de pente et me tractais. Un vrai métronome. Les poignets dans les dragonnes pour améliorer la poussée. Ils ne me servaient pas seulement à avancer, ils me stabilisaient latéralement, mes pas étant mal assurés.
A double tranchant
Ce qui est bénéfique dans ce contexte devient problématique lorsque nous en abusons, car les bâtons supplantent le système musculaire stabilisateur. D’un mode bipédique nous passons à un mode quadrupédique. Les déséquilibres latéraux, horizontaux et antéropostérieurs sont contrecarrés par nos bras. Le système musculaire stabilisateur naturellement et habituellement employé en mode bipédique est shunté ; et comme vous le savez, ce que nous n’utilisons pas s’affaiblit. Ce n’est bien évidemment pas une sortie qui va affecter notre système musculaire stabilisateur mais l’emploi de bâtons à chaque sortie. Dans ce cas, il s’opère une modification progressive de notre façon de traiter les déséquilibres. Nous construisons un autre programme et schéma moteur qui va inclure les bras et les bâtons. Les bâtons vont faire progressivement partie intégrante de notre locomotion.
Faut-il ou ne faut-il pas utiliser des bâtons ?
Il faut faire la différence entre confort et nécessité et nous en revenons finalement toujours à ces mêmes questions : Qu’est-ce que je recherche, qu’est-ce que je veux vivre, quel corps et quelle locomotion je souhaite posséder ? Utiliser des bâtons à chaque sortie nous rend dépendant de ceux-ci. Certains vous diront qu’ils vont plus vite avec des bâtons que sans ! Qu’ils franchissent plus facilement les parties techniques… Nous ne pouvons qu’être d’accord, mais quels objectifs poursuivent-ils ? Dans quel contexte se trouvent-ils ? Ils ne doivent pas oublier pour autant qu’ils vont progressivement devenir dépendants de ce matériel, limiter leurs possibilités et insidieusement voir leur capacité à gérer les parties techniques sans bâtons régresser. Ils auront bien sûr indéniablement un gain en vitesse et en stabilité. Seulement, plus ils utiliseront les bâtons plus ils développeront un schéma moteur qui les aura intégré et deviendront dépendant de ce matériel. Le tout est de le savoir et de considérer l’ensemble des tenants et des aboutissants.
Utile selon le contexte
Durant cette montée, les bâtons m’ont été d’une grande utilité voire indispensables, comme mes deux coéquipiers, Valérie et Anass . Il m’aura tout de même fallu presque 6h pour parcourir les 16km et les 1600m de dénivelé qui nous séparaient du sommet du Toubkal. Il me faudra encore 2h30 pour rejoindre le refuge du Toubkal se situant sur l’autre versant avec de nombreux arrêts de plus en plus longs. Arrivé au refuge, après une bonne douche j’ai dormi 15h. Je garde de cette ascension un souvenir vaporeux, mais ce n’est que partie remise car de mon point de vue gravir le Toubkal depuis Tarhbalout par le flanc Est vaut le détour.
Que retenir
- L’utilisation des bâtons est une question de contexte.
- Une utilisation excessive des bâtons modifie notre corps et notre gestuelle et nous rend à long terme dépendant de ceux-ci.
- Lors d’un trekking de plusieurs jours, toujours prendre une paire de bâton car nous ne savons pas ce qu’il peut arriver.
- Apprendre à marcher et à courir avec des bâtons afin d’acquérir les bons automatismes.
Pour aller plus loin
- Accepter notre humanitude dans nos pratiques sportives
- Trekking en chaussures barefoot dans l’Atlas Marocain
- Pour un trekking de plusieurs jours dans l’Atlas Marocain ou pour l’ascension d’un 4000 contactez Anass Errihani en cliquant ici
Crédits photo
- Anass Errihani : Instagram – http://anasserrihani.com/
- Valérie Legembre : https://legembre.com