Au hasard d’une expérience
Greg, coureur avant-pied tout terrain aguerri, habitué à courir avec des chaussures de type barefoot, chausse exceptionnellement lors d’une sortie sur route une paire de running rigide comportant une semelle amortissante de 9mm sans drop. Des chaussures qu’un distributeur lui a proposé de tester afin d’avoir son avis. A la fin de la session, après une heure de course, il se déchausse et marche pieds nus sur le bitume. Il ressent instantanément un changement dans ses appuis. La répartition de la pression sous ses pieds est différente,comme s’ils avaient changé de forme durant la sortie. Des tensions musculaires inhabituelles parcourent également ses pieds. Ce n’est qu’après quelques minutes de marche pieds nus que la pression exercée par le pied sur le sol s’homogénéise et que les tensions disparaissent. Curieux par nature, Greg reproduit l’expérience pour constater à chaque fois le même phénomène alors qu’il n’en est rien lorsqu’il court pieds nus ou avec des chaussures de type barefoot (chaussures qui comportent une semelle très fine, souple, sans drop et aucun amorti). Comment s’explique mécaniquement cette évolution du pied ?
Une mécanique digne d’une horlogerie suisse
Cette modification de l’appui provient du fait que le premier et le cinquième métatarsien exercent de façon inhabituelle davantage de pression sur le sol que les autres métatarsiens. Le système musculaire s’est déséquilibré. Attention nous ne disons pas que la pression qui s’exerce sous le premier et le cinquième métatarsien est plus importante mais qu’ils exercent une pression plus importante. Nous soulignons simplement ici leur indépendance et le fait qu’ils soient mobilisés par des muscles distincts, en ce sens que leur degré de flexion n’est pas passif mais actif,contrôlé musculairement. En raison de la mollesse de la semelle de la chaussure, la tête du premier et du cinquième métatarsien doit comprimer davantage celle-ci pour s’ancrer et construire la stabilité du pied. La flexion permanente de ces deux métatarsiens, grâce à une contraction accrue du système musculaire les contrôlant, modifie durablement l’agencement de l’architecture du pied et celle de l’arche antérieure en particulier. Rappelons que l’arche antérieure est située à la base des orteils et se compose de la tête des métatarsiens. A tel point qu’il a fallu que le coureur marche quelques minutes pieds nus sur un sol dur pour que le système musculaire se rééquilibre, que le pied retrouve sa forme initiale et que la pression exercée sur le sol s’homogénéise.
Construire ses appuis
En appui,le pied n’est donc pas passif mais actif et réactif, et comme nous avons pu le signaler dans de précédents écrits, proactif. Ainsi, il ne s’écrase pas passivement sous le poids du corps. Son système musculaire intrinsèque et extrinsèque maintient son architecture, contrôle son adaptabilité et module la pression qu’exerce les métatarsiens sur le sol pour garantir son équilibre,sa stabilité et celle du corps. Mais pour cela encore faut-il poser le pied sur un sol suffisamment dur pour quel’action du système musculaire, ici les fibulaires, soit effective. Insistons sur le fait que le pied interagit avec le sol pour se construire et construire un appui solide. Si cela semble évident lorsque nous l’énonçons, cela l’est moins lorsque nous spécifions que nous évoquons ici la construction du pied relative à sa mobilité intrinsèque. Une subtilité qui passe totalement inaperçue et qui pourtant, une fois révélée, met en balance l’utilisation de semelles ‘’moelleuses’’ puisqu’elles altèrent l’ancrage. Ainsi sur une surface molle, nous pouvons aller jusqu’à dire que la construction du pied est anarchique et que le positionnement de la tête des métatarsiens désordonné. Rappelons par ailleurs que les muscles qui contrôlent ce mécanisme sont les mêmes qui stabilisent la sous-talienne. Dès lors, la stabilité du pied et de la cheville dépend de la qualité de l’interaction que le pied est en mesure de produire avec le sol et de la résistance de celui-ci.
Pour faciliter la compréhension de ce mécanisme, imaginons un tabouret dont les pieds sont remplacés par des vérins électriques auto-ajustables ayant pour fonction de toujours maintenir l’assiette du siège à l’horizontale.Plaçons maintenant ce tabouret sur un sol meuble tel que du sable et asseyons-nous dessus. Les vérins vont alors s’enfoncer dans le sable à des profondeurs différentes jusqu’à trouver un équilibre précaire en tassant le sable. Si nous retirons le tabouret du sable,les pieds n’auront pas la même longueur. C’est à ce type de mécanisme que nous faisons référence, le cinquième et le premier métatarsien étant ici comparés à des vérins.
Le temps de la déformation
Ainsi,les coureurs qui utilisent des chaussures avec amorti sont dépendants de la qualité de la semelle. C’est à dire de sa capacité à ne pas se déformer et à opposer une résistance suffisante à la pression qu’exercent les métatarsiens.
Nous pouvons décrire trois types de déformation qui se succèdent dans le temps. La première instantanée, dès que nous enfilons les chaussures, et qui donne cette sensation de ‘’confort moelleux’’mais qui ne permet pas un appui franc et solide sur lequel les métatarsiens peuvent réguler efficacement la pression à exercer. La seconde apparait au cours de la sortie, la mousse se tasse progressivement et perd petit à petit de son élasticité. Une déformation réversible, dite élastique, où la semelle reprend sa forme initiale en quelques heures une fois les chaussures dans le placard. La dernière déformation, non élastique, perdure dans le temps et s’accentue au fil des sorties. La semelle se tasse et ne retrouve jamais sa forme initiale. Notons que plus la semelle est épaisse et la matière qui la compose peu résistante et de faible densité, plus le risque de déformation non élastique est important. A l’image de l’empreinte que nous laissons dans le sable humide en bord de mer lorsque nous courons pieds nus sur place ; le sable faisant office de semelle amortissante. Au fil des appuis le pied tasse le sable et y laisse une empreinte de plus en plus profonde. Une empreinte non uniforme qui évolue à chaque appui en fonction de l’homogénéité et de la densité du sable, et de la pression qu’exerce indépendamment chaque métatarsien. Notons que nous excluons volontairement de cette réflexion les défauts posturaux sus-jacents et considérons que le pied est neutre la première fois qu’il chausse ce type de matériel.
Un imperceptible cercle vicieux
Pieds et chaussures sont alors pris dans un cercle vicieux dont ils ne parviendront jamais à en sortir. Le pied déforme la semelle de l’intérieur tassant progressivement la matière à chaque sortie, tout en s’adaptant aux déformations qu’il lui imprime. Pour parachever le tout, si le coureur marche très peu pieds nus, ce qui lui permettrait pourtant de rééquilibrer en partie la musculature de ses pieds, le positionnement des différentes pièces osseuses qui les composent aura tendance à se figer dans le temps. Le pied prenant ce que nous pourrions nommer un ‘’mauvais pli’’. Pour cette personne marcher pieds nus sera très inconfortable. Le pied étant incapable d’équilibrer les pressions et de se mouler à la forme du sol, en un mot des’adapter. Les zones d’hyperpression visibles à l’aide d’un podoscope sont ici la conséquence des défauts de positionnement des pièces osseuses et de l’altération de son adaptabilité.
Pour faciliter la compréhension de ces notions il suffit d’enfiler les chaussures de running de ses amis qui comportent de l’amorti et qui ont naturellement une pointure semblable à la sienne, puis de chercher à percevoir au travers des creux et des bosses la forme de leurs pieds. Ou encore de prendre sa vieille paire de running et de la comparer avec une paire neuve dans un magasin afin de se faire une idée du niveau de fonctionnalité de ses pieds.
Un pied fonctionnel
Le pied doit pouvoir s’adapter à la forme du terrain tout en contrôlant la pression qu’exerce chaque métatarsien sur le sol. Un mécanisme davantage présent si la personne pratique le pied nu ou chausse des chaussures barefoot, sauf s’il court et marche en permanence dans du sable comme nous l’avons évoqué précédemment. Le pied humain a besoin d’un contact franc avec le sol pour que son architecture en appui puisses’organiser et se stabiliser. Nous pouvons ainsi dire que la fonctionnalité du pied est à son meilleur potentiel sur un panel de surfaces limitées. Le sable sec et meuble n’en fait pas parti par exemple. Il suffit de comparer nos pieds à ‘’ceux’’ des chameaux pour comprendre laquelle des deux formes est la plus adaptée sur ce type de sol.
Ainsi, la mobilité et la souplesse du pied, la qualité de sa musculature et son adaptabilité sont tributaires du matériel que nous portons au quotidien et dans nos pratiques sportives. La pratique du barefoot ou du « comme pieds nus » associée à des exercices spécifiques donne le moyen d’équilibrer le pied. Encore faut-il laisser le temps à ses pieds de s’adapter !
Que retenir
- Le pied a besoin d’un sol dur pour fonctionner et s’équilibrer.
- Les semelles amortissantes, moelleuses, altèrent le fonctionnement du pied.
- Plus la semelle est épaisse plus le risque de déformation est important.
- Les métatarsiens ajustent en permanence la pression qu’ils exercent sur le sol.
- Le pied est actif et réactif, et non passif.
Pour aller plus loin
Un pied fonctionnel assure une jonction efficace avec le sol et optimise la prise d’appui, il s’accompagne d’un meilleur maintien de la « cheville » et participe ainsi à la prévention des entorses. De plus, il augmente la marge de manœuvre en cas de déséquilibre et permet de développer un appui plus dynamique.
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