Trail, Anti-inflammatoires, Dialyse…

Par Frédéric Brigaud. Ultramag
« IL AURAIT PU SE RETROUVER DIALYSÉ À VIE » – DOMINIQUE DI VINCENZO. SANTÉ – ULTRA-TRAIL | TRAIL ET ANTI-INFLAMMATOIRES UNE MAUVAISE IDÉE. LA PRISE D’ANTI-INFLAMMATOIRES PENDANT UN ULTRA-TRAIL : LES RISQUES POUR LA SANTÉ ET EN PARTICULIER LES REINS ; ENTRETIEN AVEC DOMINIQUE DI VINCENZO MÉDECIN ET COUREUR D’ULTRA-TRAIL, AVEC LA PARTICIPATION DE CHRISTOPHE LE SAUX.

79ème kilomètre du 105 km de l’Ultra-Trail Atlas Toubkal (UTAT)

« Encore 26 kilomètres à parcourir avant de franchir la ligne d’arrivée. Déjà plus de dix heures de course. La journée a été très chaude et malgré une hydratation régulière la déshydratation se fait ressentir. J’ai beau compléter mon hydratation avec des pastilles de sel, cela ne suffit pas à compenser mes pertes. Un phénomène accentué par l’air environnant qui est très sec dans cette région du Maroc. Lors de mon dernier arrêt, j’ai constaté que mes urines étaient légèrement teintées en rouge. Est-ce du sang ? Ou est-ce l’enzyme liée à la destruction musculaire ? Encore 26 km. Je suis au milieu de nulle part, entre deux PC course… Je ne vais pas m’arrêter, même s’il me reste encore deux cols à franchir. »

« À la fin de la course Christophe Le Saux se retrouve déshydraté avec des urines rouges porto, probablement liées à la présence de CPK (une enzyme musculaire provenant de la destruction des cellules musculaires durant l’effort) et vraisemblablement un peu de sang » nous relate Dominique Di Vincenzo, médecin bénévole depuis 8 ans sur le Marathon des Sables (MDS) et depuis 4 ans sur l’UTAT. Les CPK colorent en rouge les urines, évoquant une hématurie (présence de sang dans les urines). « Christophe est un coureur aguerri, bien entrainé, qui se connait. Il a eu trop chaud, il a eu du mal à s’hydrater, il a voulu continuer sa course malgré une déshydratation majeure avec le risque que ses enzymes musculaires viennent se précipiter dans les reins (les glomérules rénaux) et qu’il fasse une insuffisance rénale aigue. Mais heureusement il est jeune et en bonne santé. La réhydratation que nous avons opérée à son arrivée lui a permis d’éliminer la myoglobine et éviter ainsi qu’elle ne vienne altérer la fonction rénale. Il a fallu tout de même lui perfuser 3 litres de sérum physiologique ce qui est important puisqu’en moyenne nous avons entre 5 et 6 litres de sang. Cela représente la moitié du volume sanguin. C’était donc une déshydratation sévère » analyse Dominique.

Et si ?

Que se passerait-il si, dans ce cas de figure, un coureur d’ultra-trail avait pris durant la course des anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) pour lutter contre la douleur musculaire afin de terminer en apparence plus facilement la course ? Dominique Di Vincenzo nous parle de la face cachée de la physiologie de l’effort long et des anti-inflammatoires dont l’association peut mettre en danger le coureur en engageant son pronostic vital. Des informations qu’il n’est pas facile d’obtenir, jusqu’au moment où l’on trouve le bon interlocuteur qui n’a qu’un seul désir, informer les coureurs, leur donner les moyens de prendre les bonnes décisions et ne pas se laisser tenter par le chant des sirènes.

La douleur et les AINS

« La douleur n’est pas l’indication première des AINS car, comme son nom l’indique, ils luttent contre les inflammations. Cependant, lorsqu’il y a inflammation il y a douleur. Donc lorsque tu traites l’inflammation, tu traites indirectement la douleurUn certain nombre de médecins utilisent les anti-inflammatoires comme antalgiques sans parfois se poser la question de la cause de la douleur et beaucoup de coureurs consomment des anti-inflammatoires de façon banale », nous explique Dominique. « Une utilisation souvent banalisée lors de la prescription (ketoprofene…), mais également par la vente libre de certains anti-inflammatoires (ibuprofène…) que l’on retrouve dans le commerce et que l’on obtient sans aucune prescription médicaleL’anti-inflammatoire est devenu un produit de consommation courant dans le cadre de la prise en charge de la douleur », ajoute-t-il. Christophe Le Saux constate également que l’automédication est malheureusement devenue monnaie courante chez les trailers pour atténuer les douleurs.

La douleur, mon alliée

Il faut avoir conscience que dans le cadre de l’ultra-trail « la douleur est un facteur physiologique limitant de l’effort qui nous renseigne sur les capacités du moment de notre corps ». La douleur apparait plus ou moins rapidement, plus ou moins intensément selon son niveau d’entrainement, son état de fatigue… « La douleur liée à l’effort est donc physiologique et utile » précise Dominique. « Un signal d’alarme qui doit te faire dire de t’arrêter ou de ralentir. En tout cas de gérer ton effort et de l’adapter ». Cette alarme peut également nous prévenir de l’apparition d’une lésion musculaire ou articulaire, d’une blessure. « De ce fait, il ne faut surtout pas masquer la douleur sinon tu vas aggraver la lésion car ne la percevant plus. Tu te mets ainsi une première fois en danger », conclue-t-il.

Les effets d’un effort long

Dans le cadre de l’ultra, voire tout simplement de la pratique sportive, on perd de l’eau au travers de la transpiration, de la respiration et de la miction. Des pertes que l’on compense rarement totalement durant l’effort même si on se réhydrate correctement. « On est toujours dans une phase de déshydratation » nous explique Dominique.  « Qui dit déshydratation, dit hypo-perfusion rénale et par conséquence il apparait une petite insuffisance rénale fonctionnelle ». Le rein étant mal vascularisé, mal hydraté, il fonctionne moins bien. « A cela s’ajoute la rhabdomyolyse, terme qui désigne la destruction de la cellule musculaire liée à l’activité physique qui, là encore, est un mécanisme physiologique ». Une destruction des cellules musculaires dont l’importance fluctue en fonction de la durée et de la difficulté de la course, du niveau d’entrainement du coureur et de sa fatigue. Cette destruction des cellules musculaires qui, rappelons-le, est ici physiologique, entraine l’élimination d’une enzyme que l’on appelle les CPK dont l’élévation est évocatrice de cette destruction. Celle-ci s’accompagne de la libération d’une protéine appelée myoglobine (qui donne cette couleur rouge au muscle). « Si tu analyses les urines d’un finisher d’ultra, tu trouveras un taux de myoglobine et de CPK élevé. Cependant, lorsque le taux est très élevé et que l’on n’arrive pas à les éliminer, tout simplement parce que le rein fonctionne moins bien, cette enzyme précipite, se « cristallise » et fait apparaitre des petits amas dans les glomérules rénaux ce qui majore l’insuffisance rénale fonctionnelle liée à la déshydratation ou crée une insuffisance rénale aigueLe danger de la rhabdomyolyse massive est l’insuffisance rénale aigue », précise-t-il. L’insuffisance rénale aiguë résulte d’une défaillance brutale des fonctions rénales (Krzesinski, Jean-Marie, http://hdl.handle.net/2268/68606) c’est une urgence, qui, sans soins intensifs immédiats, peut être mortelle.

Un cocktail détonnant

Il faut savoir que les anti-inflammatoires non stéroïdiens créent également une insuffisance rénale. Ainsi, comme nous l’explique Dominique, si dans ce contexte « tu ajoutes la prise d’un anti-inflammatoire, quelques soient les raisons pour lesquelles tu le prends, celui-ci majore l’insuffisance rénale consécutive à la déshydratation et à la rhabdomyolyse ». De plus, le fait de ne pas avoir mal ou moins mal aux jambes grâce à la prise de cet anti-inflammatoire (diminution de la douleur), permet de poursuivre l’effort à une intensité supérieure. « Une intensité supérieure à celle à laquelle tu aurais du courir et qui accentue la rhabdomyolyse et par conséquence l’insuffisance rénale. Dans ce cadre, le danger réel de l’anti-inflammatoire associé aux autres phénomènes est l’insuffisance rénale aigue qui peut se terminer par une dialyse et potentiellement une non récupération de ta fonction rénale ».

Nous ne sommes pas invincibles

Ayant pris connaissance de ces divers mécanismes, il nous raconte le cas d’un coureur, médecin de son état, lors d’un précédent Ultra-Trail du Mont-Blanc (UTMB). Ce coureur médecin, ayant des troubles digestifs au départ de la course, n’a pas pu s’hydrater et s’alimenter correctement tout au long de celle-ci. Il a terminé tant bien que mal l’UTMB mais s’est retrouvé à l’arrivée avec une insuffisance rénale aigue et une anurie (impossibilité d’uriner). Son état a nécessité une hospitalisation en réanimation avec mise en route d’une  dialyse quotidienne. « L’insuffisance rénale fonctionnelle qui s’est installée en raison de la déshydratation et qui a été majorée par la rhabdomyolyse lui a bloqué les reins. Il a fait une nécrose tubulaire aigue liée à cela. Le fait qu’il soit jeune, sans antécédents, et qu’il n’ait pas pris d’anti-inflammatoires avant, durant, et après la course lui ont permis de récupérer ses reins au bout d’une semaine », nous précise Dominique. « Le risque, et j’insiste, est que s’il avait pris des anti-inflammatoires il aurait pu ne jamais récupérer ses reins et se retrouver dialysé à vie. Et cela les coureurs n’en ont pas conscience parce que l’anti-inflammatoire reste pour eux un antalgique puissant, mais pas réellement dangereux ».

Autres effets secondaires

« Lorsque tu fais un effort soutenu, la répartition du volume sanguin évolue et se concentre au niveau des muscles au détriment des intestins, du système digestif, entraînant des diarrhées, des flatulences, des rectorragies (sang dans les selles) ; ce qui n’est pas forcément grave car, en réhydratant correctement le coureur, dans la majorité des cas tout rentre dans l’ordre. Cependant, la prise d’anti-inflammatoire irrite la muqueuse digestive et exacerbe le phénomène lié à l’effort de longue durée » complète DominiqueLes coureurs sont davantage informés sur ce phénomène pour l’avoir parfois vécu.

« Rares sont ceux qui prennent en considération l’action des anti-inflammatoires sur les reins, ou en ont tout simplement conscience »conclut Dominique.

Il y a des moments, des rencontres et des partages qu’il est bon de vivre. Merci à Dominique et à Christophe d’avoir répondu à l’appel.

Vous aimerez aussi
Dominique Di Vincenzo en bref
  • Médecin généraliste, capacité en médecine du sport, DU traumatologie de l’appareil locomoteur  dans la pratique du sport, DU médecine hyperbare et subaquatique, DIU médecine urgence de montagne… Passionné par la pratique de l’ultra-trail, la préparation et l’adaptation de l’organisme à l’effort longue durée.
  • Coureur ultra-trail depuis 2003 : UTMB *4 finisher/6, Cromagnon *8, LUT, Templiers, Interlacs, Maxirace entre autre. Il pratique le VTT , le vélo route , la natation et le ski de randonnée.
  • Médicalisation d’épreuves  sportives : essentiellement MDS depuis 8 ans (dont une participation comme coureur), 2 fois l’UTMB, 4 fois l’UTAT, 2 fois le championnat de France de triathlon par équipe à Nice,…

  • Merci à Christophe Le Saux pour sa participation : http://www.teamglobetrailers.com/
  • Photographie de Dominique Di Vincenzo : Claire  Aupérin
  • Crédit photo : Fred Brigaud

LIBÉRER NOS RESSOURCES BIOMÉCANIQUES
Version e-learning du guide de la foulée
e-learning – Tester, analyser et passer à une foulée avant-pied, dite minimaliste ou encore médio-pied | Cliquez sur l’image

e-learning – Instabilités de la cheville et prévention des entorses | Cliquez sur l’image

Un pied fonctionnel assure une jonction efficace avec le sol et optimise la prise d’appui, il s’accompagne d’un meilleur maintien de la « cheville » et participe ainsi à la prévention des entorses. De plus, il augmente la marge de manœuvre en cas de déséquilibre et permet de développer un appui plus dynamique.


Corriger le pied sans semelle, pied pronateur, supinateur et prévention des entorses