Prévention – Corriger le pied sans semelle

Entretien réalisé par Jean Daugignon
L’entraineur du ski alpin n°93 – mars 2015

Frédéric BRIGAUD, dont nous avons apprécié l’intervention lors de colloques organisés par l’AFESA , vient de publier un nouvel ouvrage “Corriger le pied sans semelle”. Il nous a paru intéressant de lui demander pourquoi et comment cette correction pouvait être utilisée par les skieurs de compétition.

Jean DAUDIGNON : Dans votre ouvrage vous abordez une nouvelle conception du fonctionnement du pied, est-elle utilisable par le skieur de compétition ?

Frédéric BRIGAUD : Au premier abord, le pied étant maintenu dans la chaussure de ski, pour ne pas dire emprisonné, sans possibilité de mouvement, nous pourrions effectivement croire que cela ne concerne pas le skieur de compétition. Bien au contraire, comme je l’évoquais dans un précédent article au sein de votre magazine (Diminuer le risque d’entorse consécutif à la pratique du ski alpin, Avril 2012) la chaussure de ski est semblable à une orthèse rigidifiant/bloquant/limitant certains mouvements qui, il faut le reconnaitre, s’ils n’étaient pas bloqués, rendraient difficile pour ne pas dire impossible la pratique du ski de compétition. Je parle ici notamment des mouvements permettant d’orienter le pied vers l’intérieur ou l’extérieur par rapport à la jambe (mouvements d’inversion/éversion), grâce à l’articulation sous-talienne (articulation qui se situe en dessous de la cheville, méconnue et trop souvent amalgamée à la cheville), et le mouvement de torsion entre l’avant-pied et l’arrière-pied (interligne articulaire de torsion), deux mouvements impossible à effectuer au sein d’une chaussure de ski. Si une chaussure rigide est nécessaire actuellement pour pratiquer efficacement le ski alpin, elle présente donc des inconvénients. Evoquons brièvement pour commencer l’impact d’un pied pronateur. Rappelons que, debout, la jambe droite en l’air, il est possible d’orienter le pied vers l’intérieur ou l’extérieur grâce à trois articulations distinctes, l’articulation sous-talienne que nous venons de mentionner, le genou grâce au mouvement de rotation (rotation du tibia sous le fémur) et la hanche (rotation de hanche) (fig.1). Dès lors, l’orientation de votre pied par rapport à votre bassin, élément essentiel dans la pratique du ski alpin, dépend de ces trois articulations ! Il est donc utile de bien discerner/déterminer l’origine du mouvement, l’origine de l’orientation du pied et donc du ski par rapport au bassin. Avoir les pieds parallèles ne veut pas dire que les autres segments le sont pour autant. D’un point de vue technique et biomécanique, si l’on souhaite maintenir les pieds parallèles, plus les pieds sont éversés par rapport au tibia, c’est-à-dire plus ils sont ouverts (orientés vers l’extérieur dans un mouvement d’éversion, articulation sous-talienne), plus il faudra produire une rotation interne de hanche pour compenser l’éversion (l’ouverture des pieds). Les genoux se trouvent donc par conséquence orientés vers l’intérieur pour parvenir à garder les pieds parallèles, faites le test. Dès lors, dans ce cas, tout un pan de la gestuelle du skieur est limité augmentant notamment les risques de produire davantage de torsion au sein de l’articulation du genou.

Nous pourrions simplifier ainsi la réflexion, un skieur dont les pieds sont « pronateurs » (éversés), phénomène qui n’est rien d’autre qu’un défaut de posture, l’oblige d’une certaine façon à skier les genoux à l’intérieur. Il aura également du mal à garder les skis à plat ou encore aura tendance à skier sur la  care (les conséquences techniques sont multiples et varient d’un skieur à l’autre en fonction de la stratégie mise en œuvre pour compenser ce défaut de posture)… Le degré d’inversion/éversion du pied a beaucoup plus d’impact qu’on l’imagine au premier abord sur la gestuelle que développe le skieur… Alors qu’à l’origine ce n’est qu’un défaut de posture qu’il est possible de corriger sans semelle, à l’image d’un enfant qui ne se tient pas droit et à qui l’on prodigue une gymnastique corrective. Ce n’est pas plus difficile que cela. Encore faut-il avoir une conceptualisation du fonctionnement du pied qui le permette, savoir où l’on se situe et vers quoi il est possible de tendre. Le fait de développer un pied fonctionnel donne davantage de marge de manœuvre au skieur.

Revenons-en à l’impact de la chaussure sur le corps à plus ou moins long terme. Debout, pieds nus, en appui avant-pied, les talons légèrement décollés, il vous est possible d’amener, de ‘casser’, la cheville vers l’intérieur ou l’extérieur, grâce à l’articulation sous-talienne. Ces mouvements sont limités par le système ligamentaire latéral appelé couramment ligaments externes et internes de la cheville. L’entorse, dite de la cheville, provient d’un mouvement semblable à celui que vous venez d’effectuer vers l’intérieur ou l’extérieur, mais de façon brutale et allant au-delà des limites physiologiques articulaires distendant le système ligamentaire. Ceci dit, la stabilité et la protection de la cheville dépendent des muscles qui contrôlent ces mouvements. Dès lors, le fait de porter une grande partie du temps des chaussures de ski affaiblit ce système musculaire « latéral » et augmente le risque d’entorse. Le skieur, malgré lui, affaiblit donc ce système musculaire protecteur mais qui est également déterminant pour produire des appuis efficaces et précis lors des séances de préparation physique par exemple. Il faut donc être conscient des conséquences de l’utilisation des chaussures de ski. Dès lors, le développement/l’entretien/le maintien d’un pied fonctionnel dans un souci d’efficacité et de préservation nécessitent un travail spécifique pour contre carrer les « effets » de la chaussure de ski.

Jusqu’à présent nous n’avons pas encore réellement abordé le pied mais plutôt ce qui le relie à la jambe. Il faut savoir que le pied n’est pas un bloc rigide, loin de là ! Car l’avant-pied se mobilise indépendamment de l’arrière-pied et inversement. Comme vous pourrez le voir, dans plusieurs vidéos qui accompagnent l’ouvrage, en appui avant-pied, le talon se déplace latéralement par rapport à l’avant-pied en fonction du degré de torsion. La forme du pied évolue instantanément en fonction du sol et de l’orientation de la jambe… Grâce à ce mécanisme l’avant-pied est une interface neutralisatrice, un élément de jonction entre le sol et le reste de la jambe. Pas besoin de vous faire un dessin pour comprendre que la chaussure de ski immobilise ce mécanisme et le fige alors qu’il est essentiel une fois les chaussures retirées. Ces différents éléments, une fois développés et calibrés, permettent de contrôler efficacement et à loisir l’orientation du pied par rapport à la cheville et de le maintenir sous contraintes. Ce sont des éléments clés, et très accessibles, si l’on souhaite produire des appuis efficaces et alléger les contraintes au sein des articulations sus-jacentes.

J.D. : La semelle est actuellement, avec l’injection, l’unique solution pour adapter quasi parfaitement la chaussure au skieur, d’autres alternatives sont-elles envisageables ?

Adapter la chaussure au pied du skieur est une chose, faire évoluer la forme du pied en est une autre. Il faut avoir conscience que la forme du pied, qui varie comme je l’ai évoquée dans votre précédente question, est la conséquence de la gestuelle que vous déployez, que vous avez automatisée. La forme du pied dépend de la gestuelle et la gestuelle dépend de la forme du pied (ou de sa capacité ou non à fluctuer). Il y a ici un mécanisme autoentretenu fluctuant au gré des aléas de la vie, des entrainements, du matériel,… Allons plus loin, le degré d’empilement articulaire de la jambe (l’alignement des articulations) dépend de la forme du pied, et la forme du pied dépend du degré d’empilement de la jambe… Le degré d’Empilement Articulaire Dynamique (EAD) que je présentais en 2006 lors du colloque « Le ski et la blessure », colloque organisé par l’AFESA à Grenoble, détermine le degré de torsion et la répartition des contraintes au niveau de l’articulation du genou et de ses éléments de jonction (ligaments latéraux, ligaments croisés, ménisques,…). La répartition des contraintes au sein de l’articulation du genou est tributaire de la neutralité du pied et de son niveau de fonctionnalité. D’où la nécessité de développer et d’entretenir/maintenir un pied fonctionnel.

Si l’injection permet d’adapter la chaussure au skieur, il faut faire la différence entre la forme du pied liée à son architecture (morphologie) et la forme qui n’est que la conséquence de sa statique/posture/dynamique. Le moulage fige le pied dans une certaine posture dont dépend l’empilement des articulations sus-jacentes, alors autant qu’il soit neutre.

Pour vous rendre compte de ce phénomène, chaussez les chaussures de sport usagées d’une personne ayant votre pointure, vous percevrez alors toutes les déformations qu’il aura généré au niveau de ses chaussures, conséquences de sa gestuelle et de sa posture, mais également les répercussions sur votre statique. Adapter la chaussure au pied (sa morphologie) du skieur est une chose mais adapter la chaussure aux déficits posturaux du skieur en est une autre…

J.D. : Comment les prises d’appui peuvent-elles être améliorées dans cette nouvelle hypothèse ?

Ce n’est pas une hypothèse mais une réalité. Si dans la course ou lorsque vous sautez sur place, votre pied s’effondre vers l’intérieur à chaque appui il y a une perte d’efficacité (rendement), de stabilité, de précision. C’est un peu comme si à chaque pas, sous la contrainte d’appui (force de réaction au sol), l’ensemble de votre buste fléchissait avant de se redresser. Faites le test, sautez sur place et relâchez le haut du corps, laissez vos bras ballotter au gré des contraintes, puis progressivement tonifiez votre corps jusqu’à être en mesure de maintenir votre posture. Vous remarquez alors que vos bonds deviennent économiques et efficaces. Il en est de même au niveau du pied. Il devient alors dynamique. C’est un des aspects biomécaniques évoqués, il y en a d’autres.

J.D. : Comment la préparation physique peut-elle être envisagée pour préparer au mieux les coureurs à avoir « un pied fonctionnel », à le développer et à prévenir la blessure ?

C’est tout l’objet de ce livre et des précédents… Le travail postural, la gestion du corps dans le mouvement face aux contraintes doivent faire l’objet de séances spécifiques. A être trop souvent focalisé sur l’atteinte de l’objectif (effectuer tant de répétitions, parcourir telle distance, …) on en oublie qu’il n’est que la conséquence du déroulement du geste et de l’orchestration du corps dans le mouvement. Pour cela il suffit dans un premier temps de porter un regard différent sur le geste et la façon dont le corps s’orchestre, d’acquérir de nouveaux observables, c’est pour cela que je parle de conceptualisation du fonctionnement du corps. C’est proposer en quelque sorte une « autre grille de lecture », une fois ceci fait reste à mettre en place des séances spécifiques couplées à un travail de prise d’appui avant-pied, et permettre au skieur de prendre le contrôle, d’être davantage acteur de sa dynamique.

Pour aller plus loin
e-learning – Instabilités de la cheville, approche fonctionnelle
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