Passer du Marathon au Trail

Par Frédéric Brigaud.
Joggeur n°23 – nov/dec 2016 –

PASSER DE LA COURSE SUR ROUTE AU TRAIL DEMANDE DES APTITUDES DIFFÉRENTES. CELA NÉCESSITE-T-IL UNE APPROCHE ET UNE PRÉPARATION PHYSIQUE PARTICULIÈRES ? ÉTUDE ET CONSEIL D’UN POINT DE VUE ANATOMIQUE ET POSTURAL.

Est-ce vraiment différent ? Cela nécessite-t-il une approche et une préparation physique particulières ?

Dans un souci d’efficacité le marathonien, ou plus simplement le coureur sur route, cherche inlassablement à reproduire une gestuelle identique et efficace tout au long du parcours ; longueur de la foulée, balancement des bras, allure, cadence (nombre de pas par minute). Cette capacité à reproduire un geste technique identique est, dans ce cadre, essentielle si l’on souhaite performer. Des paramètres qui évoluent faiblement tout au long de la course, pour peu que le coureur se soit suffisamment entrainé. Cependant, avec la fatigue ou le manque d’entrainement, certains coureurs ne parviennent pas, ou difficilement, à être réguliers et à maintenir des constantes techniques optimales. A l’image des constantes physiologiques dont les valeurs nous permettent de jauger l’état de santé d’une personne, nous pouvons parler des constantes techniques du marathonien dont dépendent ses résultats, le résultat n’étant qu’une conséquence.

Le corps du marathonien est-il stéréotypé ?

Un coureur qui court le marathon en 4h produit, selon sa cadence, entre 38 400 pas (pour une cadence de 160 ppm) et 43200 pas (pour une cadence de 180 ppm) et balance tout autant de fois les bras ; nous sommes au cœur du geste technique répétitif. En cherchant à reproduire une prise d’appui et une posture de course identiques à chaque foulée, cette gestuelle technique répétitive a pour conséquence de façonner son corps, sa musculature et ses automatismes. Quitte à se répéter, la performance chez le marathonien, en dehors des aspects physiologiques (cardio…), dépend donc de sa capacité à reproduire le même geste du début à la fin de la course, tel un métronome. Une gestuelle technique qui ne doit pas se dégrader au fil de la course et surtout comporter un minimum de défauts techniques qui peuvent devenir rapidement coûteux énergétiquement, déstabilisant, et favoriser l’apparition de blessure. Dès lors, il est évident qu’un coureur sur route aura du mal à sortir de ses rails, à briser ses automatismes, c’est-à-dire à produire une gestuelle différente, que des années de pratique auront inscrite au sein de son organisme.

Si nous approfondissons l’analyse technique nous remarquons que le marathonien court essentiellement en ligne droite. Il se déplace très peu latéralement, sauf au départ de la course lorsqu’il doit slalomer entre les coureurs. Le sol est toujours au même niveau, il n’y a pas de marches à gravir ou à descendre. Le sol est plat et régulier, en ce sens qu’il ne présente pas de dévers, de creux ou de bosses. Il n’y a pas de nids de poule ou d’obstacles impromptus qu’il doit éviter. Il peut se permettre de regarder loin devant lui, voir de fermer les yeux quelques instants sans réellement prendre beaucoup de risques. La route est large et autorise des erreurs d’appui qui peuvent s’accompagner de légers déports vers la droite ou la gauche. Finalement, ce qu’il faut percevoir c’est la marge de manœuvre ou plutôt la marge d’erreurqu’autorise la course sur route et bitume. Il n’y a rien de plus artificiel que de courir sur route, nous sommes finalement très très loin de la configuration d’un sentier. Le terrain artificiel stéréotype la gestuelle du coureur et limite indirectement sa marge de manœuvre, sa capacité à évoluer sur des terrains changeant.

Passer de la route goudronnée au sentier c’est donc changer d’univers ?!

En évoquant ces différents aspects techniques nous percevons déjà les nombreuses dissemblances qu’il existe entre la route goudronnée et les sentiers de montagne. Par exemple un sentier étroit n’autorisant que le passage d’une seule personne est difficile à parcourir et demande davantage de concentration, de précision; il n’est plus possible de se déporter vers la droite ou la gauche. Il faut suivre le sentier coûte que coûte, les bords étant synonymes de potentiels déséquilibres, chutes  voire d’entorses. Par ailleurs, on est amené à franchir des obstacles qui nous obligent à lever davantage les pieds, à jouer avec les niveaux. Tout est changeant, rien n’est constant. Un sol irrégulier et plus ou moins glissant où l’adhérence évolue rapidement d’une portion de sentier à une autre. Une portion très glissante à l’orée d’un sous-bois puis très sèche quelques mètres plus loin lorsque l’on traverse une clairière. A ce moment-là, le placement du corps et la qualité des appuis doivent être adaptés, précis, contrôlés, et le retour sensoriel optimal. On ne cherche surtout pas à rattraper un déséquilibre, on anticipe, ce qui est très différent, on cherche à produire un appui efficace. Par ailleurs, ressentir le terrain, sa souplesse, sa dureté, son adhérence, nécessite d’être en mesure d’adapter sa gestuelle et sa posture de course en un instant, d’une foulée à l’autre.


Le trail mobilise nettement plus de fonctions (tant physiques que cérébrales) que la course sur route.

Le coureur route qui passe du jour au lendemain au Trail, en parcourant de longues distances et en reproduisant en toute circonstance une foulée identique s’expose à la chute, voire à la blessure. On doit donc parler de transition, puisqu’il va falloir progressivement développer des capacités physiques et techniques qui permettront au coureur d’ajuster ses appuis en fonction du terrain. Le corps change, il s’adapte au contexte. Deux milieux différents (route/montagne), deux corps différents !

Pour courir en montagne il faut être capable de faire évoluer sa cadence sans changer d’allure et, inversement, changer d’allure sans modifier sa cadence. Changer la longueur de sa foulée, porter les pieds sur le côté, loin du centre de gravité… Il faut posséder une indépendance de jambes, de la dextérité. Comme le rappelle Marion Maneglia (Traileuse, Championne du Monde de relais en Ski Alpinisme 2015 et Accompagnatrice Moyenne Montagne (AMM) spécialisée Trail) ‘’les coureurs route ont tendance à être perdus dès qu’ils courent sur des sentiers, ils ont souvent moins de ‘’qualité de pied’’, de ‘’tenue de pied’’, d’aisance, de fluidité… Courir en montagne nécessite de la maitrise, de la dextérité et de l’expérience !’’

Quels sont les principaux éléments mis en jeu ?

Les chevilles ! Elles permettent d’employer efficacement le bras de levier que représentent les pieds grâce à une prise d’appui avant-pied. Reste à maintenir une cadence élevée (180 ppm) pour un maximum de réactivité. On a tendance à croire que la dextérité provient surtout des pieds, ce qui n’est pas le cas. L’articulation qui va nous permettre de placer le pied au bon endroit est la hanche. La hanche est une articulation très mobile, elle possède une grande amplitude de mouvement dans tous les plans de l’espace. Cette amplitude nous permet de porter loin nos appuis, devant, derrière, ou sur les côtés. Néanmoins, prendre appui sur le côté sollicite différemment notre système musculaire et plus particulièrement le système musculaire stabilisateur latéral du bassin et des jambes (muscles abducteurs) qui est davantage sollicité. Le coureur Trail débutant doit donc s’assurer que son système musculaire (TFL, petit et moyen fessier, pyramidal du bassin) possède suffisamment de finesse, de résistance, de puissance pour être efficace et répondre aux contraintes du terrain auquel il sera soumis. Sans cela ce système musculaire se fatiguera rapidement, impactant le niveau d’empilement articulaire dynamique des jambes et par conséquence l’équilibre et la stabilité des appuis.

Les chevilles et les hanches ne sont pas les seules concernées, le haut du corps a lui aussi sa part de responsabilité. Il intervient directement dans la précision et la solidité des appuis. Relisez l’article sur le balancement des bras dans la pratique de la course à pied. Le coureur Trail doit posséder un corps complet où chaque partie participe pleinement à l’action qu’il mène. L’un des coureurs Trail qui me vient immédiatement à l’esprit lorsque j’évoque ces aspects est Dawa Sherpa. Lorsqu’il court, l’ensemble de son corps participe à cette dynamique, pas une partie n’interfère. C’est un athlète complet.

Le coureur Trail débutant doit s’assurer que son système musculaire possède suffisamment de finesse, de résistance, de puissance pour être efficace et répondre aux contraintes du terrain auquel il sera soumis.

Qu’en est-il de l’expérience ?

Comme je l’évoquais précédemment on ne cherche pas à rattraper des erreurs, on anticipe le terrain, ses difficultés, ses changements. Anticiper, cela commence tout simplement par apprendre à lire correctement le terrain. L’expérience est donc un élément essentiel. Acquérir progressivement de l’expérience jusqu’à automatiser les ajustements de la gestuelle pour qu’ils deviennent spontanés. Rochers, pierres, racines, terre, graviers, bosses, dévers… Autant de surfaces qui nécessitent d’ajuster sa prise d’appui et donc un toucher de pied particulier. Un toucher de pied qui se travaille. Pour cela il ne faut pas se contenter de parcourir des terrains qui nous sont faciles mais plutôt s’attarder sur ceux qui nous mettent en difficulté, en montée, en descente ou sur du plat, jusqu’à ce qu’ils deviennent faciles, jusqu’à ce que les pieds se posent correctement et au bon endroit spontanément, sans avoir à réfléchir. Ne pas travailler ces aspects, c’est-à-dire ne pas aller jusqu’à l’automatisation, est très énergivore et peu efficace. Avec le risque en fin de parcours, alors que la fatigue est déjà présente et la vigilance altérée, de chuter sur ce type de sentier ou tout simplement de consommer le peu d’énergie qu’il nous reste. La force des automatismes doit prendre le dessus sur l’acte réfléchi, mais pour cela il est nécessaire que le coureur soit conscient de ses difficultés, les acceptent et travaillent. Précision, Régularité et Répétitionest  dans ce cadre un axiome essentiel pour celui qui souhaite évoluer.

Le Trail requière un niveau technique plus élevé que la course sur route, la marge de manœuvre ou plutôt la marge d’erreur permise est plus réduite. Dompter le terrain, apprendre à en jouer, cela s’apprend !


Le corps du marathonien est-il stéréotypé ? | Passer de la route goudronnée au sentier c’est donc changer d’univers ?! | Quels sont les principaux éléments mis en jeu ? Qu’en est-il de l’expérience ?

Pour aller plus loin :
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