L’impact des défauts de posture

Magazine Joggeur n°27 – Par Frédéric Brigaud

Ces invisibles qui nous gouvernent !

Percevoir l’impact d’un défaut de posture ou de course que nous avons automatisé est peut-être la chose la plus difficile, illusionnés par la fluidité de nos automatismes et l’inconfort que génère tout changement. Nous sommes à même de percevoir l’apparition d’une pression soudaine et inattendue sur notre peau alors que nous ne décelons plus la montre que l’on porte au poignet. La pression qu’elle exerce sur notre peau et ses déplacements dans nos gestes usuels font partie de nous et ne sont plus détectés, sauf si ceux-ci devaient évoluer de façon inhabituelle. Dans un processus d’habituation, les lentes évolutions, ou parfois brutales suite à une entorse par exemple, de notre posture et de nos gestes s’inscrivent en nous, nous métamorphosent et deviennent imperceptibles, qu’elles soient plus ou moins efficaces ou coûteuses énergétiquement en raison des compensations qu’elles génèrent.

Le chemin inverse pour retrouver l’équilibre est perceptible, voire inconfortable, car il bouscule brutalement nos automatismes, notre soit disant ‘’naturel’’, produisant des tensions inhabituelles. Il requière un temps d’adaptation jusqu’à ce qu’on l’intègre, jusqu’à ce que ce nouvel ordonnancement fasse parti de nous. Retenons que le corps est capable de fonctionner en présentant dans sa gestuelle et sa posture de nombreuses imperfections et pourtant sembler ‘’performer’’. Nous nous déplaçons alors avec un lot de compensations sans en avoir conscience car faisant parties intégrantes de notre schéma corporel.

Agir ou laisser faire le hasard

Face à un enfant qui se tient spontanément voûté, que cela soit en statique ou en dynamique (en mouvement), alors qu’il ne présente aucune douleur ou pathologie qui justifie cette posture, devons-nous le laisser ainsi ou lui donner les moyens de se redresser ? Nous savons tous plus ou moins qu’une posture voûtée est un facteur limitant dans la pratique sportive mais également dans le quotidien. Ainsi, nous n’hésitons pas à lui conseiller des séances de gymnastique dite ‘’posturale’’ pour l’aider à se construire et par conséquence trouver davantage de confort et de réactivité. Mais dès qu’il s’agit de faire évoluer la posture des jambes deux camps s’affrontent, les pours et les contres. Haile Gebresalassié étant l’exemple phare présenté par les contres du fait qu’il est pronateur (le pied ‘’s’effondre’’ vers l’intérieur), gagne et ne se blesse pas ou peu. Il gagne par rapport aux autres mais est-il réellement à son meilleur potentiel ? Sa posture, son orchestration, sa capacité à maintenir l’orientation des différents segments est-elle optimale ?

La victoire un référentiel fiable ?

Prenons comme élément de comparaison la pratique de l’escalade. Pour une même succession de prises sur un mur d’escalade artificiel l’effort à fournir diffère selon la posture que l’on adopte. Plus on est proche du point d’équilibre plus l’effort à fournir est faible et la réactivité est grande, à l’inverse un placement inadapté devient rapidement coûteux énergétiquement. Certains compensent ces défauts par la force et la puissance pouvant aller jusqu’à être les premiers lors d’une compétition. La victoire lors d’une compétition, est-elle un référentiel fiable pour déterminer la ‘’bonne’’ gestuelle à adopter ? Faut-il gagner face aux autres ou être à son meilleur potentiel ? A chacun son graal… La part technique du geste dans un souci d’économie et d’efficacité est essentielle. Retenons qu’il existe mille et une gestuelles/stratégies biomécaniques plus ou moins efficaces et contraignantes pour l’organisme pour une même action. Nous fonctionnons dans l’instant sans percevoir l’impact à long terme d’un défaut de posture sur l’intégrité de l’organisme et l’évolution de sa dynamique corporelle.

Alors pour vous faire une opinion et tentez de vous faire prendre conscience de l’impact de la posture nous vous proposons une succession de tests.

Défaut d’orientation du pied

Tout le monde a entendu parler des pieds pronateurs ou supinateurs, les marques de chaussure de running allant jusqu’à proposer des modèles différents selon que l’on soit l’un ou l’autre, nous donnant une impression d’irréversibilité du phénomène. Tu es pronateur et tu le resteras… Ces chaussures ‘’tentent’’ seulement de pallier au problème et n’apportent pas de réelles solutions alors que, en dehors de toutes pathologies ou malformations, ce n’est en définitive qu’un simple défaut d’orientation et de maintien du pied par rapport à la jambe, au même titre qu’un tennisman orienterait mal son poignet ou ne serait pas en mesure de le tenir lors d’un coup droit.

Faites l’exercice suivant pour localiser l’articulation responsable de l’orientation du pied par rapport à la jambe : Pieds nus, assis par terre, jambe droite tendue, la cheville fléchie à 90°. Orientez le pied successivement vers l’intérieur puis vers l’extérieur en veillant à garder tout au long de l’exercice le genou dirigé vers le plafond pour ne pas mobiliser la hanche.  L’orientation du pied par rapport à la jambe dépend de l’articulation talo-calcanéo-naviculaire qui se trouve juste en dessous de la cheville, nous en avons déjà parlé dans un précédent article, une articulation essentielle et peu connue que nous nommerons sous-talienne pour des raisons pratiques. Maintenant que vous avez pris le contrôle de cette articulation, comprenez qu’un pied orienté vers l’intérieur par rapport à la jambe produit en appui un pied supinateur et, à l’inverse, un pied orienté vers l’extérieur par rapport à la jambe produit en appui un pied pronateur[1]. A partir de là évaluons l’impact d’un défaut d’orientation sur l’équilibre et la répartition des tensions au sein de la jambe.

[1] Le degré de torsion entre l’avant-pied et l’arrière-pied, qui détermine la forme de l’arche interne du pied (creuse ou plate), dépend de l’orientation du pied par rapport à la jambe.

Percevoir l’impact d’un défaut de posture

Il faut avoir conscience que la course à pied est une discipline sportive qui requière peu de technicité/de compétence pour être pratiquée. En ce sens que l’on peut courir presque ‘’n’importe comment’’ et parvenir à atteindre ses objectifs d’autant que les surfaces sur lesquelles nous courrons en ville sont aseptisées (pas de creux, de bosses, de dévers,…), peu difficiles techniquement. Ce qui n’est pas le cas sur les sentiers sinueux de montagne qui nécessitent davantage de précision, d’équilibre,… où le coureur peut se sentir soudainement ‘’moins à l’aise’’ sans forcément faire le lien avec des défauts de posture, mais l’associant plus volontiers à un manque de ‘’proprioception’’… Faites le test suivant pour mieux percevoir l’impact d’un défaut d’orientation (fig.1).

Corriger le pied sans semelle, pied pronateur, supinateur et prévention des entorses – 2nde éd.
Corriger le pied sans semelle, pied pronateur, supinateur et prévention des entorses – 2nde éd. 2019
  1. Tracez au sol deux lignes parallèles écartées de vingt centimètres. Posez un pied sur chaque ligne en prenant soin de placer le milieu du talon et le milieu de l’avant-pied sur la ligne pour mieux ressentir l’impact d’un défaut d’orientation.
  2. Jambes légèrement fléchies, les genoux déverrouillés, soulevez l’avant-pied du pied droit afin de vous retrouver en appui talon et produisez un mouvement d’éversion maximum (orientez le pied vers l’extérieur par rapport à la jambe, cf. précédent exercice). Attention le mouvement ne doit s’effectuer qu’au niveau de l’articulation sous-talienne. Si le genou s’oriente vers l’extérieur c’est que vous avez mobilisé la hanche.
  3. Replacez l’avant-pied droit sur la ligne en effectuant cette-fois ci une rotation interne de hanche tout en maintenant l’éversion du pied. C’est la configuration que l’on peut retrouver chez un coureur pronateur qui, lors d’une sortie sur un terrain technique en montagne, doit orienter durant plusieurs foulées son pied droit (pronateur) parallèle à sa trajectoire.
  4. Les deux pieds sont de nouveau parallèles mais les jambes s’orchestrent différemment ; le genou droit s’oriente vers l’intérieur. Ainsi positionné, effectuez quelques mouvements de flexion/extension des jambes ce qui devraient mettre en exergue le phénomène de rentrée du genou droit à chaque flexion.
  5. Comme il n’est ni physiologique ni efficace pour le genou de courir ainsi, on cherche à sortir le genou pour le replacer dans l’axe. Alors, tout en gardant les pieds au sol et parallèles, réorientez le genou droit. Pour cela vous effectuez une rotation externe de la hanche droite.
  6. Focalisez votre attention sur l’évolution des tensions au sein du genou droit et comparez-les avec celles du genou gauche.

Des tensions apparaissent au sein du genou droit et le mouvement d’ouverture est limité comparativement au genou gauche. Les muscles abducteurs et rotateurs externes de la hanche droite sont davantage sous tension pour maintenir le positionnement du genou. L’articulation du genou est en souffrance alors qu’elle n’est pas à l’origine du phénomène. Notez que pour soulager l’articulation du genou il suffit de corriger le défaut d’orientation du pied ou de décoller le talon du sol. Un travail purement technique. Ce défaut d’orientation du pied impacte également l’équilibre et la stabilité du corps dans son ensemble.

Défaut d’orientation du pied et stabilité

Dans un premier temps, faites quelques pas sur place pieds nus puis effectuez un test de flexion/ extension sur la jambe droite et appréciez votre niveau d’équilibre. Ce test d’équilibre sera votre référentiel (Fig.2). Dans un second temps, reprenez le précédent test afin de reproduire un pied droit pronateur. A la fin de l’étape 3 croisez les bras au niveau des épaules et décollez la jambe gauche afin d’être en appui uniquement sur la jambe droite. Ainsi positionné, effectuez des mouvements de flexion/extension sur la jambe droite tout en gardant le tronc droit et comparez votre niveau d’équilibre avec le précédent test. Si le test est réalisé correctement vous remarquez que le genou a tendance à rentrer spontanément et que votre stabilité et votre équilibre sont altérés.

A nous d’agir

Le niveau de ressources biomécaniques du corps humain requis pour maintenir l’équilibre fluctue en fonction de la technicité du terrain. Ainsi plus le terrain est technique et plus l’impact d’un défaut d’orientation prend de l’ampleur. Ce qu’il est possible de compenser sur un terrain aseptisé ne l’est plus sur un terrain technique. S’il est possible de marcher ou de courir ‘’les pieds en canard’’ cette configuration est plus ou moins efficace selon le niveau de technicité du terrain.

Lorsque l’on a connaissance de ces mécanismes et des moyens pour les réguler, il devient alors possible d’agir. Retenez que notre dynamique corporelle n’est pas figée mais est capable d’évoluer. Corps, gestes, postures et automatismes sont intimement liés, pris dans une boucle récursive qui, par essence, évolue sans cesse. Une approche qui commence par une prise de conscience et une conceptualisation plus précise du fonctionnement de notre corps, suivies d’un travail posturo-dynamique pour permettre au coureur dans ce cas de reprendre tout simplement le contrôle de l’orientation de ses pieds par rapport à la jambe.

A lire dans Joggeur n°27

Pour aller plus loin

Un pied fonctionnel assure une jonction efficace avec le sol et optimise la prise d’appui, il s’accompagne d’un meilleur maintien de la « cheville » et participe ainsi à la prévention des entorses. De plus, il augmente la marge de manœuvre en cas de déséquilibre et permet de développer un appui plus dynamique.

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