Les TMS du coureur, pour une approche multifactorielle de la pathologie

© Fred Brigaud – Fev 2019 

Dans le cadre des blessures de l’appareil locomoteur  chez le coureur à pied (muscles, tendons, ligaments, os, cartilage,…) qui apparaissent au fil des sorties sans notion de choc direct et qui sont le résultat d’une pratique, d’un entrainement, d’une gestuelle ou encore d’un terrain inadaptés, l’approche thérapeutique actuelle est incomplète car elle se borne trop souvent à traiter la pathologie pour ce qu’elle est, occultant le reste.

Ce type de blessure devrait être classé dans le registre des TMS (troubles musculo-squelettiques) et considéré comme tel. Une notion apparue dans le monde du travail où il est devenu évident qu’un geste technique répétitif inadapté est source de pathologie, et que la thérapeutique seule, c’est-à-dire le traitement des maladies, ne suffit pas à la résoudre. L’Etat promeut cette approche en raison du coût des arrêts de travail et de l’impact sur la productivité comme le résume si bien ces deux slogans ‘’Quand un travailleur souffre, toute l’entreprise est touchée’’[1], ‘’Les TMS coûtent chers à l’entreprise[2]’’. Une source de motivation logique dans un monde marchand déshumanisé où l’homme se résume à un rendement et un coût.

Reste que la notion de TMS en dehors de ces raisons économiques et productivistes est révolutionnaire pour le coureur qui l’intègre. Rappelons que selon l’INRS (Institut National de Recherche et de Sécurité) ‘’Les TMS sont des maladies multifactorielles à composante professionnelle’’. Nous ne sommes plus dans le ‘’une cause un effet’’ et la réflexion va bien au-delà de la pathologie, prend en compte l’individu, son comportement et son contexte. A partir de là, Nous pouvons dire que ‘’Les TMS sont des maladies multifactorielles à composante sportive’’ mettant en exergue la complexité de la réflexion à avoir pour les résoudre et toute l’importance de la part technique du geste, de la pratique, de la nature du terrain, du choix du matériel, de l’état d’esprit de la personne…

Alors étendons cette notion de TMS à la pratique sportive et aux gestes du quotidien. Non pas pour imposer un comportement liberticide mais pour amener l’individu à mieux se comprendre, se gérer et se respecter. En agissant ainsi ce n’est pas se priver d’une liberté qui n’existe pas pour nous, mais plutôt employer à notre avantage les lois physiques, structurelles et organiques qui nous gouvernent, pour paraphraser Henri Laborit. Nous ne nous limiterons pas, mais développerons notre potentiel car aller jusqu’à la blessure c’est payer physiquement le prix d’une liberté (d’une possibilité) que nous nous sommes octroyés alors qu’elle n’existait pas pour nous à ce moment là.

Contexte, milieu et comportement

Afin de comprendre et prévenir les TMS, le poste de travail, la posture,… ou encore la gestuelle sont analysés et mis en lien avec la pathologie dont souffre le ‘’travailleur’’. Cette analyse, succinctement résumée ici, porte sur :

  • Les contraintes imposées par la configuration du poste de travail et la tâche à accomplir.
  • La variabilité de la gestuelle et de la posture qu’autorisent le poste de travail et les différentes tâches à effectuer.
  • Les qualités physiques et techniques minimales requises pour effectuer la tâche, incluant une marge de manœuvre suffisante pour ne  pas altérer l’organisme : condition physique, force, coordination, endurance,… habiletés motrices.
  • La gestuelle produite par la personne et ses capacités physiques.
  • Son état de santé et son hygiène de vie.
  • Le matériel utilisé ou porté par la personne qui influence directement sa gestuelle et sa posture.

Vient après le temps de la correction et de l’apprentissage durant lequel la personne acquière des connaissances et des compétences qui lui donnent les moyens de faire évoluer sa gestuelle, son physique et son poste de travail dans un souci de santé et de bien-être. Même si, dans la réalité, nous sommes loin d’atteindre ce niveau d’exigence, biaisé par la course à la productivité et à la baisse des coûts. Il faut tout de même garder cet état d’esprit et tendre au maximum vers celui-ci.

Reste à transposer cette approche lors des consultations et considérer l’aspect multifactoriel des TMS du sportif, étendre le champ exploratoire au-delà du corps et donner les moyens au coureur blessé d’acquérir des connaissances et des compétences supplémentaires afin qu’il gère au mieux son corps et sa pratique dans un souci de ‘’sport santé’’. Pour le coureur, le poste de travail n’est autre que la route ou les sentiers, et le geste technique sa foulée qu’il répète inlassablement, en moyenne 80 à 90 fois par minute pour un cycle complet.

TMS et course à pied

Prenons le cas d’un marathonien venant consulter pour des douleurs récurrentes au niveau du genou qui apparaissent durant ses sorties et perdurent quelques heures après. Agé d’une quarantaine d’année,  il pratique la course à pied depuis plus de dix ans et participe annuellement à deux ou trois marathons. La douleur qui se localise au niveau de la rotule s’est progressivement installée au fil des sorties. Après avoir consulté son médecin qui a mis en évidence un ‘’syndrôme rotulien’’, il souhaite mieux comprendre les éléments qui sont susceptibles de développer un tel syndrome. Lors de l’interrogatoire nous relevons qu’il n’y a pas de changement dans la régularité et l’intensité de ses entrainements. Ni de changement de matériel ou de terrain. Son poids est stable et il n’a pas modifié sa façon de s’alimenter. Après une dizaine de minutes de course sur tapis à son allure moyenne (10 km/h), la symptomatologie apparait.

Insistons sur le fait que résoudre cette problématique ne se résume pas à faire disparaitre ou ‘’masquer’’ la douleur, la symptomatologie, car alors, il suffirait de prescrire des antalgiques et des anti-inflammatoires et croiser les doigts pour que l’organisme s’adapte suffisamment durant le traitement pour supporter les contraintes auxquelles il est soumis à chaque foulée. Ce qui fonctionne parfois. Nous cherchons ici à équilibrer la circulation des contraintes et à faire disparaitre les zones de surcharge.

Une question d’observables et de paramètres

Tel un métronome, une fois lancé sur le tapis de course à son allure habituelle, il reproduit une foulée régulière et assez proche de celle qu’il met en œuvre sur route. Grâce à la répétitivité du geste,  Il devient alors possible d’établir son patron de course, c’est-à-dire sa façon de courir et d’employer son corps. Il suffit ensuite d’analyser les différents paramètres techniques sur lesquels il est possible d’agir et de déterminer ceux qui sont susceptibles d’entrainer ou d’entretenir ce type de TMS chez lui. Pour ne pas nous perdre dans les détails nous n’évoquerons ici que quelques paramètres.

Nous relevons sa technique de prise d’appui (talon, pied à plat ou avant-pied), le déroulement de l’appui, sa poulaine (trajectoire du pied par rapport à la hanche tout au long du cycle de la foulée), sa cadence (le nombre de pas par minute), sa posture de course (de profil et de dos ; inclinaison du corps, oscillation verticale et latérale, orchestration des jambes (EAD)), son type de foulée (neutre, pronateur, supinateur) les mouvements du haut du corps et des bras.

Voici ce que nous observons:

  • Technique de prise d’appui : avant-pied.
  • Déroulement de l’appui (amortissement, conduite, propulsion) : faible amortissement en raison d’un verrouillage des chevilles, les talons restent hauts.
  • Poulaine : une prise d’appui située en arrière du point d’efficacité alors que le pied se déplace vers l’avant. Le pied butte dans le sol et traine légèrement à chaque foulée tant pour le pied droit que pour le pied gauche.
  • Type de foulée : pronateur, le pied s’éverse durant la phase d’appui entrainant un valgus dynamique à chaque foulée.
  • Cadence : une très faible cadence de 157ppm (pas par minute) qui augmente l’impact, limite le retour élastique et nécessite davantage de relance.
  • Bruit à la prise d’appui : une foulée bruyante, il martèle le sol.
  • Posture de course : une posture de course verticale.
  • Mouvement du haut du corps : absence de balancement des bras compensée par un pivotement passif du buste. Le haut du corps n’allège pas le travail des jambes mais le freine.
  • Matériel employé : Des chaussures épaisses sous l’avant-pied qui limitent le retour sensitif, c’est-à-dire la perception de l’impact de sa gestuelle.
Equilibrer la circulation des contraintes au sein du corps

Après avoir relevé ces différents paramètres et afin qu’il puisse discerner nettement  leur impact sur sa foulée et sa symptomatologie, nous les faisons évoluer un à un. Chaque paramètre est testé indépendamment des autres. Tout au long de cette phase de tests, il court à la même allure.

  • Il passe d’une attaque avant-pied à une attaque talon, la symptomatologie s’exacerbe. Rappelons tout de même que selon la gestuelle déployée lors d’une attaque talon (l’angle d’attaque (angle que forme le pied avec le sol), le degré d’extension du genou, la raideur de la jambe) celle-ci peut être plus ou moins impactante. Puis il revient à une foulée avant-pied.
  • Nous lui apprenons à déverrouiller les chevilles et à laisser descendre les talons jusqu’à ce qu’ils viennent effleurer le sol lors de la phase d’amortissement et de conduite. La symptomatologie disparaît. Puis il verrouille de nouveau ses chevilles.
  • D’une cadence faible il passe à 180ppm, la symptomatologie s’atténue. Puis il revient à 157ppm.
  • D’une poulaine trop courte, il atteint le point d’efficacité en fléchissant davantage les hanches, la symptomatologie s’atténue. Puis il revient à la poulaine qu’il a automatisée jusqu’à présent.
  • D’une foulée pronatrice, nous lui demandons de produire et de maintenir un appui plus externe. Le maintien de l’arrière-pied limite la bascule du pied et la rotation interne de la jambe. Un paramètre plus difficile à mettre en œuvre mais qui diminue également la symptomatologie. Puis il laisse de nouveau son pied basculer.
  • D’une posture verticale, il passe à une posture légèrement antérieure, pas d’impact sur sa symptomatologie. Puis il revient à une posture verticale.
  • D’un pivotement du buste, il passe à un balancement actif des bras, pas d’impact sur sa symptômatologie mais ressent un allègement de sa foulée. Puis il revient à un pivotement du buste et délaisse le balancement des bras.

VERSION E-LEARNING DU GUIDE DE LA FOULÉE
e-learning – Méthodologie pour tester, analyser et passer à une foulée avant-pied | Cliquez sur l’image

Il apprend à discerner, à dissocier et à contrôler ces différents paramètres et à en ressentir les effets puis à les associer. Il acquière une certaine dextérité à jouer avec tous ces éléments. Il combine alors la flexion de cheville, la cadence, et la poulaine et se sent alors plus réactif, moins lourd, sa foulée est plus légère et moins contraignante pour ses genoux.

Nous poursuivons la séance pieds nus pour qu’il puisse percevoir l’influence du matériel sur sa gestuelle, sa posture, et qu’il contrôle avec davantage de précision les différents paramètres. Au fil de la séance, il prend conscience de l’importance de la part technique du geste et de son influence sur la circulation des contraintes au sein de son organisme. Sa course devient une thérapeutique.

L’intégration de ces différents paramètres et le développement de ces nouvelles habiletés motrices nécessiteront de sa part un travail technique régulier. Parallèlement il suivra des séances de kinésithérapie prescrites par son médecin afin de résorber l’inflammation et permettre à ses tissus de retrouver leur intégrité.

Que retenir
  • Les pathologies de l’appareil locomoteur du coureur qui apparaissent sans notion de choc direct sont des TMS.
  • Les TMS sont des pathologies multifactorielles.
  • Mieux répartir les contraintes ne se résume pas seulement à passer à une foulée avant-pied et à augmenter la cadence.
  • La course thérapeutique pour homogénéiser la circulation des contraintes.

Le travail technique et postural mis en place concerne l’ensemble des paramètres afin d’harmoniser au mieux la circulation des contraintes au sein de son organisme soit :

  • La flexion de cheville
  • La poulaine
  • La cadence
  • La neutralisation du pied (correction d’un défaut de maintien de la sous-talienne) grâce à un travail posturo-dynamique
  • Le mouvement du haut du corps
  • La posture de course

A cela s’ajoute une séance hebdomadaire de course pieds nus, ou avec des chaussures de type barefoot, à faible allure et limitée dans le temps.

Pour aller plus loin
e-learning – Instabilités de la cheville et prévention des entorses | Cliquez sur l’image

Un pied fonctionnel assure une jonction efficace avec le sol et optimise la prise d’appui, il s’accompagne d’un meilleur maintien de la « cheville » et participe ainsi à la prévention des entorses. De plus, il augmente la marge de manœuvre en cas de déséquilibre et permet de développer un appui plus dynamique.





[1] Slogan tiré du site www.preventiondestms.be

[2] Slogan tiré du site www.inrs.fr