Course à pied avant pied et prévention des entorses dans la pratique du ski

Par Fred Brigaud
L’entraîneur ski alpin n°86, Juin 2013

La rupture du LCA dans la pratique du ski alpin est malheureusement un fait trop courant. De nombreuses études ont mis en évidence toute l’importance du rapport de puissance entre le quadriceps et les ischio-jambiers et la nécessité de mettre en place une préparation physique adaptée pour s’assurer d’une juste répartition à ce niveau. D’autre part, dans un précédent article [Fred Brigaud, Diminuer le risque d’entorse consécutif à la pratique du ski alpin, L’entraineur du ski alpin n°81, Mars 2012],  je faisais mention de l’affaiblissement des muscles stabilisateurs de la sous-talienne (articulation se situant en dessous de la cheville) dû au port des chaussures de ski ayant pour conséquence d’augmenter le risque d’entorse à ce niveau, considérant la chaussure de ski comme une orthèse [Orthèse : Appareil orthopédique destiné à soutenir une fonction locomotrice déficiente et fixé contre la partie atteinte (attelle, gouttière, corset, plâtre, etc.). Définition du Larousse.].

Dans le cadre de la prévention des entorses du LCA, le skieur se doit de renforcer spécifiquement les ischio-jambiers puisque la biomécanique développée dans la pratique du ski alpin ne stimule pas suffisamment ce groupe musculaire, contrairement aux quadriceps. En effet la pratique du ski déséquilibre le rapport de puissance entre ces deux groupes musculaires qui, s’il n’est pas compensé par un travail spécifique, ira en s’accentuant ou sera entretenu. La présence d’un tel déséquilibre est un facteur favorisant et/ou aggravant de ce type d’entorse.

Concernant la prévention des entorses de cheville (en dehors du temps consacré à la pratique du ski alpin), il est à noter que la chaussure de ski, telle une orthèse, bloque l’articulation sous-talienne et affaiblit par conséquence le système musculaire qui la stabilise. Or, durant la période de préparation physique, le skieur réalise des séances de bondissements, de pliométrie, de passage de haie, de course, de sprint… qui nécessitent un système musculo-squelettique « stable ». Dès lors, cette instabilité du complexe articulaire cheville/sous-talienne favorise le risque d’entorse de cheville mais également du genou. Ce type de déficit est habituellement pallié par un travail de proprioception sur des éléments instables… dont la réalisation s’effectue, me semble-t-il, au détriment de la qualité de l’empilement des articulations. Selon les principes d’Empilement Articulaire Dynamique (EAD), en appui, les mouvements latéraux au sein de la sous-talienne modifient le positionnement du genou dans le plan frontal altérant l’emboitement de cette articulation [cf. La course, posture biomécanique performance, édition Désiris mai 2013, p104-108]. Pour mémoire : la variation du positionnement du genou dans le plan frontal par rapport à l’axe EAD, axe passant par le bord inférieur du talon et la hanche, altère la répartition de la pression au sein des articulations de la jambe et augmente la tension au niveau du système ligamentaire latéral et interne.

Conclusion, la pratique du ski alpin favorise le développement des quadriceps au détriment des ischio-jambiers et affaiblit la « stabilité » de la jambe dans son ensemble (plus exactement la capacité de maintien et d’organisation de la jambe dans le plan frontal). Ces différents éléments sont des facteurs qui favorisent l’apparition d’entorses mais qui également limitent l’efficience du geste technique, des éléments contre lesquels il est souhaitable d’apporter une réponse adaptée.
Un autre élément non négligeable est à prendre en considération, le temps ! Celui-ci n’est pas extensible et le sportif ne peut surcharger son planning d’exercices en tout genre en prenant le risque d’être victime de surentrainement.

N’y a-t-il donc pas alors un moyen pour stimuler l’ensemble du système musculo-squelettique afin de favoriser l’équilibre entre les masses musculaires (ischios/quadriceps) et le développement du système stabilisateur ? N’existe-t-il pas une gestuelle spécifique à développer ? Un geste technique répétitif suffisamment puissant et répétitif pour développer ces caractéristiques essentielles et compléter le travail spécifique ?

Justement, la course à pied permet de stimuler simultanément les ischio-jambiers et le système musculaire stabilisateur du complexe articulaire cheville/sous-talienne. Ce n’est évidemment pas le simple fait de courir qui permet cela mais le fait de courir d’une certaine manièreIl faut chercher à développer une foulée qui, dès la prise d’appui, enclenche les ischio-jambiers tout en activant et calibrant le système musculaire stabilisateurLa course à pied avec une prise d’appui avant-pied développe une biomécanique qui répond à ces exigences.

Il n’y a plus d’attaque du sol par le talon mais une prise d’appui avant-pied, la première partie du déroulement du pas se faisant à l’envers c’est-à-dire de l’avant-pied vers le talon. La prise d’appui avant-pied ne s’effectue pas au niveau des orteils mais au niveau de l’arche antérieure du pied (qui correspond à la tête des métatarsiens). Nous sommes en droit de nous demander si cela change grand chose ? Et pourtant c’est toute votre gestuelle qui évolue, votre foulée n’est plus la même car vous allez spontanément rechercher un appui plus proche du centre de gravité, votre jambe sera en triple flexion lors de la prise d’appui et non plus tendue comme nous pouvons l’observer classiquement lors d’une attaque par le talon. Les ischio-jambiers produisent une contraction concentrique dès la prise d’appui… De fait, la biomécanique qui découle de cette gestuelle est différente et la répartition des masses musculaires chez un sportif pratiquant la course à pied avant-pied ne sera pas la même que chez un sportif attaquant le sol par le talon, il possédera des ischio-jambiers et des mollets plus puissants, plus à même de limiter le phénomène de tiroir (fig 1 & 2).

  • Le soléaire, muscle du mollet, par son insertion sur le tibia et le talon assure la transmission de la force développée par le quadriceps jusque dans l’appui au lieu de se focaliser sur le tibia favorisant l’apparition d’un tiroir.
    – En raison de leur développement, les ischio-jambiers, muscles antagonistes du quadriceps, accroissent leur action.

Cependant, l’acquisition de cette technique de course, qui entraîne un développement par étape du système musculaire, doit être progressive car la structure du corps nécessite un temps d’adaptation. Les mollets se développent en premier. Une fois qu’ils sont suffisamment puissants et donc à même de gérer cette prise d’appui avant-pied sans déperdition d’énergie, les ischio-jambiers suivent car davantage sollicités… Ainsi, par cette technique de course à pied avant-pied, un skieur sera à même d’entretenir en dehors de ses séances de musculation spécifique l’activation de ce groupe musculaire avec un avantage non négligeable, son intégration dans un fonctionnement global. C’est-à-dire que ce groupe musculaire se développera en adéquation avec l’ensemble du système musculaire et non indépendamment comme lors d’une séance de renforcement spécifique.

Il serait illusoire de croire que le fait de courir en prenant un appui avant-pied permettrait un développement optimal du système musculaire. Cette technique de prise d’appui nécessite un réel apprentissage et doit répondre à des critères très précis tels que : Où poser le pied ? Comment poser le pied ? Au niveau de quelle partie ? Quel déroulement du pied rechercher ? Jusqu’où aller ? Quel degré de flexion de genou produire ? Comment gérer la force de réaction au sol ? Quel écartement des pieds ? Quelle orientation des pieds ? Où placer le bassin ? Où placer les épaules ?…
Courir ne se résume pas à poser un pied devant l’autre.

Cette technique de course avant-pied requière un apprentissage spécifique et la compréhension de la mécanique développée

La course à pied avant-pied permet également de renforcer le système musculaire stabilisateur composé des muscles jambier postérieur et péroniers latéraux, muscles fléchisseurs de la cheville. Ainsi une prise d’appui avant-pied avec un contrôle du degré d’inversion /éversion du pied permet au skieur de renforcer efficacement ce système musculaire tout en le calibrant. Le développement de référentiels posturo-dynamiques[Fred Brigaud, Entrainement et référentiels posturaux, L’entraineur du ski alpin n°80, Décembre 2011 / Fred Brigaud, La marche et la performance sportive, Adverbum juin 2011/ Fred Brigaud, La course à pied posture, biomécanique, performance, Adverbum mai 2013] permet au sportif de gérer sa prise d’appui, d’être à même de faire fluctuer son effort en fonction de la qualité de sa gestuelle et de sa capacité de maintien. La vitesse de déplacement, la fréquence d’appui, la durée, les mouvements du terrain… sont autant d’éléments qui permettent de gérer la qualité du déroulement du geste en faisant varier le niveau de contraintes appliqué au système musculo-squelettique. Cependant il faut être conscient que c’est un geste technique qui requière un apprentissage spécifique et qu’un temps d’adaptation est nécessaire à l’organisme pour qu’il soit à même de supporter les contraintes.

La gestion de l’organisation du corps dans le geste est synonyme d’efficience, son absence est synonyme de baisse de rendement et perte d’efficacité. C’est en élément essentiel qui rentre en ligne de compte dans l’entraînement car, au même titre que la fréquence cardiaque, il donne un cadre à l’entraînement et permet une gestion plus adaptée de celui-ci.
Pour un skieur, la course à pied à visée posturo-dynamique alliant posture et biomécanique peut devenir, si elle est correctement exécutée, un moyen pour développer performance et préservation.

C’est, me semble-t-il, un choix de politique sportive pour les clubs, les comités et la FédérationQuelle technique de course à pied privilégier et enseigner ? Cette question n’est pas aussi anodine ou futile qu’elle pourrait sembler puisque la biomécanique développée et la répartition des masses musculaires qui en découle diffèrent selon la technique de prise d’appui employée. Il en résulte deux corps biomécaniquement différents qui répondront donc différemment aux contraintes mécaniques liées à la pratique du ski alpin.

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