Tous les grimpeurs vous diront qu’on ne grimpe pas avec les bras mais avec les pieds et qu’il n’est pas nécessaire jusqu’au 7ème degré d’effectuer un travail spécifique des bras à l’aide d’une poutre ou d’une barre de traction. Une pratique régulière seule permettant d’acquérir progressivement une technique et un physique adaptés à ce niveau. Cependant, cette réflexion occulte la lente adaptation des doigts et des mains pourtant essentielle dans l’escalade. Car si effectivement nous cherchons à limiter au maximum le travail des bras, encore faut-il pouvoir tenir les prises. Il faut donc différencier la traction de la tenue de prise et nous devrions considérer les mains et les doigts des grimpeurs débutants comme atrophiés et devant se renforcer. Si nous percevons facilement l’évolution du dos et des bras des grimpeurs, celle des doigts, des mains et des avant-bras n’est pas considérée à sa juste valeur, voire passe inaperçu.
Des doigts et des mains
L’homme moderne en général, en dehors des travailleurs manuels, emploie très peu ses mains et ses doigts. A tel point que lorsque nous comparons les mains d’un grimpeur qui pratique régulièrement l’escalade depuis 10 ans à celles d’un informaticien tapant sur un clavier, nous constatons que leur forme et leur volume diffèrent totalement. Il suffit de regarder les doigts d’Alex Honnold, de Tomy Caldwell ou encore d’Adam Ondra pour se rendre compte d’un tel phénomène. Leurs mains semblent totalement disproportionnées par rapport aux non grimpeurs. Ils ne sont pourtant pas nés ainsi, l’appareil tendineux, musculaire et squelettique de leurs mains et de leurs doigts s’est progressivement adapté pour résister au mieux aux contraintes (pressions, tensions, tractions,…). Des doigts qui sont devenus au fil du temps plus larges, plus épais, plus forts et plus résistants. Retenons que la morphologie de la main, des doigts et des avant-bras change et témoigne d’un renforcement de leur structure.
Une adaptation à tout âge
Cette adaptation osseuse, tendineuse, et ligamentaire apparaît quel que soit l’âge du pratiquant mais nécessite du temps et une sollicitation régulière pour qu’elle s’opère et devienne visible. La densification des différents tissus soumis à ces contraintes pour diminuer la pression/tension au cm² est physiologique. Insistons sur le fait que les grimpeurs ne naissent pas avec des doigts aussi volumineux. Il faut donc différencier l’aspect héréditaire de l’aspect adaptatif du corps face à des contraintes répétées. Une pratique régulière entraine en réaction une adaptation qui se traduit par une évolution de la morphologie.
Le grimpeur débutant devrait avoir en tête ces mécanismes et les prendre en considération car tant que cette transformation morphologique ne s’est pas opérée, ce secteur corporel est un point faible physique, dans le sens de fragilité, qui limite également l’ensemble de ses possibilités techniques. Ainsi, dans une même configuration, celui qui possède une main solide n’a aucune difficulté à replacer ses pieds ou à faire évoluer sa posture, c’est-à-dire à être nettement plus subtil et fin dans ses placements, replacements et déplacements. L’efficacité de la gestuelle dépend aussi de la tenue de prise.
Une lente transformation
En simplifiant les mécanismes d’adaptation du corps face à une stimulation régulière, nous pouvons dire qu’il est possible de gonfler le moteur (les muscles) plus rapidement que le châssis (tendons, ligaments, os). En ce sens que le système musculaire se développe plus rapidement que les tendons, qui eux-mêmes se renforcent plus vite que le système ligamentaire et osseux. Il existe un décalage temporel en fonction des tissus qui composent et mobilisent la main et les doigts. Les muscles fléchisseurs des doigts se renforcent en premier, suivis des tendons puis plus tardivement du système ligamentaire et osseux. Retenons qu’au fil de la pratique ils se renforcent, résistent mieux, et la tenue des prises s’améliore.
A contraintes égales, les doigts atrophiés du débutant ne résisteront pas de la même manière que les doigts volumineux (par adaptation) d’un grimpeur aguerri. Il ne vous viendrait pas à l’idée d’aller courir un marathon alors que vous débutez en course à pied. Par comparaison il ne doit pas venir à l’idée d’un grimpeur débutant de se suspendre à de petites prises, même s’il parvient à les tenir. La différence fondamentale entre un marathonien professionnel qui court régulièrement depuis plus de 10 ans et un marathonien amateur qui court depuis seulement 6 mois provient du fait que le premier possède un corps construit autour de ces contraintes et à même de les supporter alors que l’autre non.
Il faut donc voir dans la main du grimpeur débutant toutes les transformations qui vont devoir s’opérer s’il ne souhaite pas strapper ses doigts pour pouvoir continuer à grimper. Malheureusement une telle transformation ne s’opère pas en six mois, ni en un an, ni en deux ans, mais commence à se voir au bout de cinq ou six ans de pratique régulière.
Multifactorielle
De plus, selon la technique employée pour tenir une prise, tendue ou arquée, les contraintes reportées sur les tendons et les poulies vont du simple au triple. D’où l’importance de sélectionner les voies en fonction de la forme de ses prises et de la technique que nous serons capables d’employer pour les tenir. Par ailleurs, s’il semble évident que les mono-doigts et les bi-doigts sont très contraignants et requièrent une main solide, nous devrons également avoir conscience que la régulation des contraintes dans les doigts est multifactorielle.
Autrement dit, la force que nous exerçons au niveau de nos doigts ne dépend pas seulement de la forme de la prise et de la façon de la tenir, mais également de la paroi (inclinaison, type de roche,…), de notre posture, du type de mouvement que nous allons mettre en œuvre (statique ou dynamique), de notre niveau de lecture, de notre niveau technique, de la pression que nous exerçons avec nos pieds, de notre état de forme, de notre mental… Alors si nos doigts s’arquent et se crispent et que nous serrons les prises plus que nécessaire, nous nous sommes certainement trompés de voie.
Une vision d’ensemble
Les muscles qui nous permettent de tenir les prises et de fléchir les doigts s’insèrent dans l’avant-bras et le bras (à sa partie distale), à distance de la main. Un système musculaire puissant et volumineux qui s’ancre profondément et sur une grande surface dans l’avant-bras. Ainsi, si nous saisissons de la main gauche la base de notre avant-bras droit et que nous mobilisons les doigts de la main droite, nous ressentons les muscles fléchisseurs des doigts se contracter. A ce système puissant s’ajoutent les muscles courts de la main qui permettent les mouvements fins, mais qui n’ont pas la force et la résistance des muscles longs.
La découpe anatomique limite la perception de cet ensemble que forment les doigts, la main et l’avant-bras. Nos doigts et nos mains se prolongent jusque dans nos avant-bras et nos bras. De fait, la protection des muscles courts de la main (interosseux, lombricaux,…), souvent en souffrance chez les grimpeurs, dépend de la force et de la résistance de ces muscles longs.
Cet ensemble musculaire, court et long, devra s’adapter et s’équilibrer globalement pour que les contraintes se répartissent efficacement. A cela s’ajoute l’aspect temporel puisque le renforcement de cette structure prend plusieurs années, l’homme moderne ne sollicitant pas suffisamment cette partie du corps. La lente transformation morphologique des mains, des doigts et des avant-bras, et l’unité de cet ensemble sont des paramètres à prendre en compte si nous souhaitons être efficace et prévenir les blessures.
A retenir
- Les mains, les doigts et les avant-bras des grimpeurs débutants sont ‘atrophiés’ et doivent se renforcer.
- La morphologie de la main, des doigts et des avant-bras change et témoigne d’un renforcement de leur structure.
- Percevoir la complexité. Les contraintes qui s’appliquent sur les doigts dépendent pour une même prise et un même pas : de la forme de la prise, de la technique de prise de main (tendue ou arquée), de l’homogénéité de l’ensemble doigts, main, avant-bras, du niveau d’adaptation anatomo-morphologique de cet ensemble, de la posture du corps par rapport aux appuis et aux prises de main, de l’état de fraîcheur du grimpeur (niveau de fatigue), du niveau d’appréhension du grimpeur…
Pour aller plus loin – Plan D’ENTRAÎNEMENT
Patience et progression sont les maitres mots pour renforcer cet ensemble doigts, mains et avant-bras. Dans l’idéal nous utiliserons une poutre d’escalade, sinon une barre de traction, ou si nous ne possédons ni l’un ni l’autre, nous nous placerons sous une table et en agripperons les bords (si elle est suffisamment solide pour nous suspendre sans danger). Le plan d’entrainement qui suit est là à titre d’exemple et à adapter en fonction de ses capacités. Il ne convient pas de fait à tout le monde. Le plus important est de percevoir la démarche. L’objectif que nous poursuivons ici est de renforcer et d’homogénéiser progressivement l’ensemble doigts, mains, avant-bras afin de pouvoir tenir les prises à bout de doigts, sans devoir les arquer ou être crispé, et ainsi gagner en aisance dans les voies pour davantage de plaisir.
Débutons la séance par un échauffement global d’une quinzaine de minutes à l’aide d’une corde à sauter (qui permet d’échauffer les poignets, avant-bras, bras, épaules,… et de travailler le gainage en engageant le périnée et le transverse de l’abdomen), suivi de quelques pompes (3 séries de 10 répétitions) et d’un travail d’ouverture et de fermeture des doigts en serrant une balle.
Première étape
- Réaliser 10 séries de 5 tractions. Les paumes de mains tournées vers l’avant (en pronation), les mains englobant la barre de traction (cf. photo 1). Cette tenue de prise limite le travail des avant-bras. Ajuster le nombre de séries et de répétitions en fonction de son niveau. Cela peut être seulement 5 séries de 3 répétitions que nous augmenterons lentement au fil des semaines et des mois. Eviter d’être en apnée et totalement crispé pour terminer la série, c’est contre productif et pourvoyeur de courbatures pour plusieurs jours.
- A la fin de chaque série, se suspendre 5 secondes.
- Inclure entre chaque série 10 pompes. Si besoin, poser les genoux au sol pour diminuer le travail.
- Une fois parvenu à effectuer les mouvements aisément après plusieurs semaines ou mois d’entrainement, passer à la seconde étape.
Deuxième étape
- Échauffement global suivi d’une série de tractions en employant la tenue de prise de la première étape.
- Poursuivre la séance (tractions et suspensions) les doigts tendus, la main est ouverte et n’englobe plus la prise. L’appui se localise sur les deux dernières phalanges (cf. photo 2). Diminuer le nombre de répétitions et de séries car cette façon de tenir la barre sollicite davantage les avant-bras (fléchisseurs communs profond et superficiel).
- Inclure entre chaque série 10 pompes.
- Compléter le nombre de séries et de répétitions en employant la tenue de prise de la première étape.
- Une fois parvenu à effectuer les mouvements aisément après plusieurs semaines ou mois d’entrainement, passer à la troisième étape.
Troisième étape
- Échauffement global suivi d’une série de tractions en employant la tenue de prise de la première étape, puis une seconde série en employant la tenue de prise de la deuxième étape.
- Poursuivre la séance (tractions et suspensions) les doigts tendus sur une surface plus petite. L’appui se localise désormais sur une seule phalange (cf. photo 3 et 3bis). Diminuer le nombre de répétitions et de séries car cette façon de tenir la barre sollicite encore plus les avant-bras (fléchisseurs communs profond et superficiel).
- Inclure entre chaque série 10 pompes.
- Compléter le nombre de séries et de répétitions en employant la tenue de prise de la seconde étape.
- Une fois parvenu à effectuer les mouvements aisément après plusieurs semaines ou mois d’entrainement, poursuivre ce travail de façon régulière pour entretenir ces gains. Si besoin, augmenter progressivement le nombre de séries et de répétitions jusqu’à obtenir la force qui correspond à vos besoins. A cela ajouter des blocages de 5 à 10 secondes à 90° et 45° de flexion de bras.
Ce travail permet d’homogénéiser l’ensemble musculo-squelettique regroupant les doigts, les mains, les avant-bras, les bras, et le dos (chaîne musculaire dont nous parlerons dans un prochain article). Il faut percevoir les liens musculaires qui unissent les dernières phalanges des doigts au bassin. Le fait de pouvoir réaliser des tractions en prenant appui seulement sur les dernières phalanges des doigts est un indicateur d’efficacité. Amusez-vous à comparer le nombre de tractions que vous êtes capable d’effectuer les mains fermées et à bout de doigts. Par ailleurs, n’oubliez pas le travail des antagonistes que nous n’avons pas évoqué ici.
Cette réflexion va au-delà de la pratique de l’escalade et concerne tous les sports car les mains, les doigts et les avant-bras de l’homme contemporain sont atrophiés et devraient être renforcés dans un souci d’efficacité et de prévention des blessures.
Pour aller plus loin
Dessins et photos – Fred Brigaud