LES PÉRÉGRINATIONS D’UN SERRE-FILE À L’UTAT

Frédéric Brigaud, Ultramag.fr, Octobre 2015

FRÉDÉRIC BRIGAUD, TROQUE SES HABITS DE CONFÉRENCIER POUR MOUILLER LE MAILLOT EN ENDOSSANT LE ROLE DE SERRE FILE SUR L’ULTRA TRAIL ATLAS TOUBKAL (UTAT) QUI S’EST DÉROULÉ LE 1ER OCTOBRE À OUKAIMEDEN (MAROC).

5h50. Depuis une demi-heure les coureurs se rassemblent devant la ligne de départ, les frontales allumées. Devant eux, l’inconnu. D’autant qu’à cette heure il fait nuit sur le plateau de l’Oukaimeden, perché à 2600 mètres d’altitude au cœur de l’Atlas. L’absence de nuages nous offre un ciel étoilé de toute beauté. Le décompte s’égraine 5, 4, 3, 2, 1, 0 ! Les coureurs s’élancent alors sur la piste portés par les voix des speakers Ludovic Collet et Sebastien. Rapidement la masse compacte de coureurs s’étire en une longue file lumineuse qui serpente dans la montagne. La course ne fait que commencer.

Dix minutes plus tard, une fois muni du listing des partants, on me dépose près des derniers concurrents qui marchent dans cette première montée pour atteindre le col de Tizi Agouns situé à 11 Km de la ligne de départ. Je me cale sur leur rythme et reste derrière eux. J’en profite pour baisser le volume de la radio qui me relie au ‘’PC course’’ et qui annonce le temps de passage des coureurs ayant atteint depuis un moment déjà ce col (PC1). La frontale coupée, je profite du clair de lune. L’ascension se poursuit alors que les premiers coureurs atteignent déjà le PC2 situé à 20 km de la ligne de départ. Le temps s’étire et nous échappe, la distance n’a pas la même valeur, la même durée pour les premiers et les derniers. Nous sommes passés de la course pure à la marche. Autre rythme, autre point de vue.

Le soleil se lève à l’approche du col. Une fois franchi, nous dévalons une longue descente de plus de 9 km jusqu’au village de Timmichi situé au fond de la vallée, traversant successivement les villages d’Agouns, de Tinoumer et d’Animter. Nous cheminons au fond d’une vallée verdoyante remplie de noyers contrastant fortement avec les flancs de montagne désertiques, jusqu’à atteindre le PC2. Il est 10 h, les premiers sont à moins de 30 minutes de la ligne d’arrivée alors qu’il nous reste 22 km à parcourir et environ 2100 mètres de dénivelé. Le prochain col, situé à 10 km, culmine à 3250 mètres d’altitude.

Le paysage redevient rapidement désertique, l’air est très sec et le soleil frappe fort. Lorsque l’on est serre-file on se pose toujours les mêmes questions, ‘’Qui seront les derniers ? Sera-t-il difficile de les amener au bout ?’’ N’oublions pas le contexte particulier de l’UTAT car nous sommes au milieu de nulle part, les voies d’accès sont difficiles et le plus court chemin pour rallier l’arrivée est le sentier que nous parcourons. Alors mieux vaut le terminer !


D’autres coureurs ont pris la dernière place. Ils manquent de souffle, la montée est difficile, mais ils y parviennent. Au PC15, situé au niveau du col, les coureurs se ravitaillent en eau car cette longue montée a vidé totalement leur réserve.

Devant nous s’étend la vallée d’Ikiis et au loin le village de Taschdirt. 6 km de descente qui se parcourt rapidement, au plus grand bonheur de nos derniers coureurs. Une fois le village atteint, reste un dernier col à franchir, le col de Tizi n’Addi situé à 2950 mètres d’altitude. Cependant, le sentier pour y parvenir est tracé droit dans la pente et chemine au milieu des rochers… Dès les premiers pas la fatigue et le manque de préparation face à ce type de terrain se font ressentir, et plus particulièrement chez un des concurrents. Il alterne marche et repos pour reprendre son souffle, plus le temps passe et plus la durée de marche diminue. Alors on reprend les bases pour lui donner les moyens et la force de terminer. On cherche un rythme qui lui permet de ne plus s’arrêter, on adapte la stratégie de déplacement en fonction de ses capacités, avec un objectif commun, arriver à destination ! Rien ne sert de pester, cela ne permet pas d’avancer, pire cela nuit au moral. Tous les concurrents vivent les mêmes expériences : enthousiasme, fatigue, regain d’énergie, doute, joie…

L’effort est le même mais avec des niveaux de capacité différents.
A l’approche du col, les jambes se font plus légères, l’énergie revient un peu. Le plus dur est derrière nous, il reste seulement 5 km de descente en pente douce pour atteindre la ligne d’arrivée. Ils seront rapidement parcourus. Nous retrouvons avec joie nos deux speakers enthousiastes qui félicitent comme il se doit les arrivants. Le chronomètre affiche 12h, nous aurons finalement mis 2h30 de moins que le serre-file de l’année dernière ! Record à battre.

Pour aller plus loin
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